• CONTRE L'OPPRESSION DES ADULTES SUR LES ENFANTS + L'ÂGE DE RAISON par Catherine Baker & David Olivier

     

                  Contre l'oppression des adultes sur les enfants
    de Catherine Baker +
    L'AGE DE RAISON par David Olivier



    Contre l'oppression des adultes sur les enfants
    Catherine Baker


    L'enfant est la propriété de l'adulte. C'est sa petite chose. Il peut
    en faire absolument ce qu'il veut (sauf le soustraire à l'emprise de l'Etat qui
    demeure le Grand propriétaire). Cela va malgré tout si peu de soi que les
    grands ont été amenés à créer la notion d'enfance, notion à peu près vide de
    sens dont l'affirmation formelle recouvre ce pendant le statut bien particulier
    que les vieux veulent donner à ces êtres qu'ils mettent à part pour leur
    plaisir ou leurs intérêts divers.

    Historiquement, l'idée d'enfance n'a qu'à peine cent cinquante ans.
    Mais même Philippe Ariès, dans son livre sur le sujet1, comme la plupart de
    ceux qui reconnaissent que l'enfance est une création de l'esprit et non une
    donnée de fait comme par exemple la jeunesse, ne parle du petit d'homme que par
    référence à l'adulte : l'enfant est, au mieux, un adulte miniature. Lorsque je
    dis que l'enfant n'existe pas, comprends-moi bien. Assurément l'enfant est
    aussi mûr, aussi intelligent, aussi " sensé " que l'adulte et je récuse toute
    différence de valeur entre les âges. Cependant, moi aussi je parle d'enfance et
    je soutiens même que chaque enfant et chaque adulte ont le même droit de vivre
    leur " esprit d'enfance ", si l'on veut bien par cette expression signifier
    une vision du monde non traumatisée par l'accumulation de jours sans
    émerveillement.

    Lorsque j'utilise le mot " enfant ", je parle de quelqu'un qui est

    dans toute sa jeunesse et je ne l'oppose à l'adulte que dans le sens où
    celui-ci n'a plus cette jeunesse plénière. Mais je ne vois en rien que cette
    perte de la jeunesse confère aux gens plus âgés je ne sais quelle supériorité
    appelée pudiquement " maturité ". Si certains osent parler d'un point
    " optimal " de la forme physique ou mentale qui appartiendrait à l'espèce,
    force leur est de constater, s'ils tiennent aux canons habituels, que ce point
    d'épanouissement intellectuel et physique se situerait grosso modo entre treize
    et dix-huit ans. Mais alors, qu'on confie le monde aux adolescents ! Quant à
    moi, je ne reconnais d'authenticité à ce " meilleur âge " de la vie qu'à
    celui que chaque individu estime être le sien. Certains ne se sont plus jamais
    sentis aussi perspicaces et intellectuellement développés qu'à quatorze ans,
    d'autres à soixante, les plus chanceux estiment qu'ils augmentent leurs
    facultés au fur et à mesure qu'ils prennent de l'âge. Laurence dit qu'elle
    était très belle à quinze ans et Thomas qu'il ne s'est senti bien dans sa peau
    qu'après cinquante ans.

    La vie, c'est ce qui bouge, Maire.
    Je ne vois pas d'objection à suivre Piaget lorsqu'il dit que le savoir
    fondamental de l'enfant n'est pas structuré de la même façon que celui de
    l'adulte et qu'il se recompose globalement à partir d'une interaction entre son
    expérience et le monde extérieur, se modifiant d'un âge à l'autre. Mais
    lorsqu'il dit que ces constructions successives consistent à coordonner les
    relations et les notions en les adaptant à une réalité de plus en plus
    étendue2, je ne peux qu'être amenée à des questions. Veut-il dire par là que le
    processus d'appréhension du monde serait dynamique jusqu'à un certain âge puis
    statique ? Quand il parle de réalité plus " étendue ", n'est-on pas trompé
    par ce qui n'est qu'une image spatiale ? Qu'est-ce qui me prouve que le
    nourrisson n'a pas une perception de l'univers plus " profonde " que la
    mienne ? Ne " comprend-il " pas mieux que nous certaines choses ? Est-ce
    qu'en vieillissant nous ne perdons pas - au moins - certaines facultés
    d'extase, par exemple, que nous ne retrouvons que très rarement, par
    accident ?

    Il est vrai que lorsque Piaget parle de développement intellectuel, il
    ne parle que d'une des formes les plus insignifiantes de l'intelligence.
    Quoi qu'il en soit, j'admets donc que l'enfant voit le monde sous un
    jour qui lui appartient. En vieillissant, l'enfant sera forcé de comprendre que
    la communication, hélas, suppose l'utilisation navrante de plus petits
    dénominateurs communs. Il lui faudra alors toute sa vie reconquérir sa
    singularité.

    Les gens sont prêts à s'exclamer que, bien entendu, tous les humains
    sont égaux quels que soient leur sexe, leur âge, leur couleur. Ils sont
    différents, n'est-ce pas ? Voilà tout. Justement, ils n'ont pas la même forme
    d'intelligence, de sensibilité, etc. N'écoute pas les hypocrites et
    interroge-les, ces parleurs, pousse-les dans leurs retranchements, demande-leur
    ce qu'ils entendent par différence et tu verras resurgir des plus ceci, des
    moins cela, le Noir moins rationnel, la femme plus intuitive, l'enfant plus
    crédule. Différence pour presque tous signifie degrés. Marie, si tu savais le
    mal qu'on peut se donner pour apprendre à parler. Cette nécessité s'impose
    constamment, je le répète, d'interroger les gens : " Qu'entendez-vous par
    là ? "

    Il est caractéristique que l'adulte se présente à l'enfant comme une
    " grande personne " et non comme un grand individu, c'est en effet d'un
    masque (la " persona ", le masque de théâtre) qu'il est question et l'enfant
    sait très vite que la grande personne lui attribue un statut correspondant à
    leurs deux rôles respectifs. Théâtre. La mise en scène est dure. D'un côté,
    ceux qui ont tous les pouvoirs et l'autorité, de l'autre, ceux qui obéissent et
    à qui il reste de jouer les fous, pleurer, crier, faire du bruit. Comme les
    esclaves de tous temps, les prolos, les animaux, " ils sont heureux, ou plutôt
    " ils ne connaissent pas leur bonheur ", ils n'ont pas de soucis ; les
    responsabilités, c'est pour les maîtres qui en sont bien à plaindre.

    Récemment, tu étais très malade ; on s'est étonné autour de moi que je

    te demande à plusieurs reprises si tu pensais qu'il fallût appeler le médecin.
    Tu répondais que non, grelottant dans tes 40° de fièvre. Je t'écoutais.
    Toujours, en ce qui concerne ta santé, je t'ai trouvée de bon jugement. Ce
    n'est pas donné à tous les adultes.

    Jamais nous n'oublierons " la robe jaune ". Tu avais quatre ans. Pour
    la première fois depuis longtemps, je disposais d'une centaine de francs et je
    t'avais emmené aux Puces pour t'acheter une robe. Je comptais te l'offrir et
    cela me faisait plaisir car toujours nous ne portons que des vêtements qu'on
    nous donne. à ma grande déception, tu choisis une robe jaune d'or que je
    trouvai hideuse. J'avoue - je l'aurais fait avec une amie - que je tâchai bien
    un peu de t'en dissuader, t'en proposant des dizaines d'autres. mais c'est bien
    sur la robe jaune que tu avais jeté ton dévolu. J'étais un peu chagrine. Quand
    tu la mis, à la maison, on s'exclama. Cette robe était faite pour toi,
    absolument. Tu l'as habitée prodigieusement et l'as aimée comme il arrive qu'on
    aime ainsi cinq ou six vêtements dans sa vie. Depuis, le " souviens-toi de la
    robe jaune " me sert aussi bien quand il s'agit de ta santé que de tes
    voyages : personne mieux que toi ne sait ce qui te convient.

    Il est comique de voir avec quel acharnement on affirme, au mépris du
    bon sens le plus élémentaire, que l'enfant ne sait pas ce qu'il veut ni ce
    qu'il fait. L'enfant serait le jouet d'une illusion permanente. John Holt dit
    que seuls les adultes sont assez stupides pour croire que d'une façon ou d'une
    autre l'institutrice que l'enfant juge méchante peut lui faire du bien3. Le
    môme perçoit très finement, très vite, où est son intérêt, qui l'aime, qui ne
    l'aime pas. En un mot comme en cent, l'enfant ne peut être plus idiot que
    l'adulte. Dans toutes les assemblées générales où enfants et adultes disposent
    de l'égalité des voix, quel que soit l'âge, et alors que les enfants sont
    souvent là en majorité, comme à Summerhill ou dans certains lieux de vie où
    l'on procède de cette manière, je n'ai jamais entendu dire qu'une décision
    aberrante eût été prise par les enfants. Que de fois ne t'ai-je pas demandé
    conseils pour des questions importantes alors que tu ne m'arrivais pas à
    mi-cuisses !

    Notre entente s'est nourrie sans doute aussi de ce que je ne

    t'aie jamais donné l'exemple de la soumission et que tu ne m'aies jamais forcée
    à quoi que ce soit. Quand nous étions opposées, il fallait trouver un
    compromis, parfois aussi je pleurais ou toi, je cédais ou toi, mais ces
    matchs-là étaient rares et chacune avait sa chance. Aujourd'hui, il y a peu de
    circonstances où nous dépendons l'une de l'autre de l'avis de notre compagne (à
    part quand l'une de nous veut être seule dans l'appartement, mais jusqu'ici,
    nous nous sommes toujours très bien arrangées, n'est-ce pas ?).

    Non, vraiment, je n'arrive pas à imaginer quels " défauts " propres à

    l'enfance frapperaient les décisions enfantines de nullité. Chaque individu a
    le droit le plus absolu de faire de lui ce qui lui convient. Il n'y a pas plus
    d'enfants violents, déraisonnables, peureux que d'adultes violents,
    déraisonnables, peureux. Il y a des gosses qui conduisent des voitures mieux
    que leurs parents, qui ont plus de sang-froid dans un incendie
    qu'incontestablement je n'en aurais, etc.

    Face à ces évidences, il a bien fallu placer les enfants en situation

    réelle d'infériorité. Le petit de l'animal dépend de ses parents tant qu'ils le
    nourrissent. C'est en fait ce qui se passe chez l'homme, mais au prix d'un
    glissement de sens assez incroyable entre la nourriture et la nourriture. On
    retrouve la très exacte dépendance de l'esclave face au maître, du travailleur
    face au patron, avec le même échange obligatoire : nous te nourrissons, mais
    dès lors tu nous appartiens. Te nourrir, c'est te donner la vie, ça vaut bien
    que tu te soumettes à ce que nous attendons de toi. La loi (ou l'humanité, ou
    notre morale, ou notre religion) nous oblige d'ailleurs à te nourrir ; obligés
    de te posséder, nous sommes obligés par conséquent de répondre de toi. En
    clair, tu es irresponsable jusqu'à ce que nous ne soyons plus tenus de
    surveiller tes velléités d'indépendance. Notre devoir de parent est de te
    rendre conforme au modèle social imposé. Dès que de toi-même " librement " tu
    entres dans le système, nous n'avons plus besoin d'être tes tuteurs.

    Il est un autre cas de figure dont la similitude dans l'oppression
    frappe bien plus encore, c'est la relation homme-femme, car cette fois le fric
    et l'amour sont intimement unis. Comme entre l'adulte et les enfants.
    Ça arrangerait chacun de croire que l'enfant reste chez ses parents
    parce que ce sont les êtres qu'il aime justement le plus. Quand c'est le cas,
    ou bien il s'agit d'une alliance de caractères extraordinaire et d'une
    rencontre formidable, ou bien le môme n'a pas fréquenté grand monde. Plus
    vraisemblablement il n'a pas fréquenté grand monde qui ait osé l'aimer avec la
    même impudeur, les mêmes démonstrations de passion et de tendresse que ses
    parents. Je reviendrai sur cet amour, mon amour ; et pour le moment, sans
    perdre de vue la trame affective, je reprends le fil de la chaîne, l'argent.

    L'enfant ne possède rien. " Alors que même un mendiant dispose à sa
    guise de l'aumône reçue, l'enfant ne possède rien en toute propriété ; il lui
    faut rendre compte de chaque objet mis gratuitement entre ses mains : il ne
    peut ni déchirer, ni casser, ni salir, ni donner, ni refuser. Il doit
    l'accepter et s'en montrer satisfait. Tout est prévu et réglé d'avance, les
    lieux et les heures, avec prudence, et selon la nature de chaque
    occupation4. " Même un jouet (sauf s'il est vieux et d'aucune valeur
    matérielle ni affective pour ses parents), il ne peut le donner, de chaque
    objet y compris son corps il doit rendre compte. Les parents sont plus ou moins
    libéraux, comme tout gouvernement ; certains enfants sont autorisés à se
    salir, d'autres non.

    Si un gosse dit à un adulte : " Puisque tu m'aimes, achète-moi çà ",
    il paraît cupide et indélicat. ça alors ! Mais tout ce système d'assistance
    fait forcément de lui un bambin inconscient de ce qui différencie l'amour et
    l'argent.

    L'enfant n'a pas le droit de travailler. C'est une grande ineptie. Mais

    il y a là un sac de noeuds. Tu avais sept ou huit ans, si je me souviens bien, lors de la première
    soirée de baby-sitting où tu as gagné de l'argent. Tu étais terriblement fière
    d'avoir gardé Emilie. Il va de soi que les enfants qui travaillent
    occasionnellement de leur plein gré pour se faire un peu de sous sont toujours
    très heureux de pouvoir se montrer compétents et consciencieux. Un gosse de
    huit ans est parfaitement capable de distribuer les journaux pendant un an à
    six heures du matin qu'il vente ou qu'il neige et de se lever pour cela à cinq
    heures (tu te souviens de Barbara ?). Mais pareille contrainte n'est
    supportable que si l'enfant, seul, s'est fixé un but (pour Barbara, un voyage).
    Ou bien encore si le mode de vie librement choisi par l'enfant suppose un
    travail en commun. Je pense ici aux enfants de l'école en bateau qui non
    seulement font leur boulot de marin, mais vont chercher par-ci par-là du
    travail là où il se trouve (vendanges, ramassage des olives, pêche sous-marine)
    ou sur les bateaux (peintures, vernis, grattage de coques).

    Mais de même que j'ai refusé, parmi les femmes, de militer pour le

    " droit au travail ", estimant que les rapports au travail sont dans nos
    sociétés de la perversion pure et qu'aucune libération ne peut venir d'un droit
    à l'aliénation, je ne défendrai pas davantage le " droit au travail " pour
    les enfants. Le droit aux travaux occasionnels, bien sûr. Cela ne se discute
    même pas et heureusement que la plupart des jeunes arrivent à travailler " au
    noir ", Le peu d'argent que les enfants gagnent de cette façon leur donne une
    toute petite marge de man½uvre par rapport à papa-maman et c'est toujours ça :
    " Ce vélo, je l'ai payé avec mon fric et rien ne m'empêche de le prêter cet
    été à Véronique ! " Bon. Mais le travail qui permettrait une autonomie
    financière réelle par rapport aux parents, la location d'un logement par
    exemple, ce travail " salarié " pose le problème de l'exploitation. Et
    certes, problème il y a. J'ai peu voyagé mais assez pour avoir vu des gamines
    de cinq ans travailler dans des filatures. Ailleurs la prostitution est
    courante parmi les filles et les garçons de huit ou neuf ans. Mais c'est encore
    John Holt qui fait remarquer que la question est mal posée. Ce n'est pas le
    travail qui devrait être interdit aux gosses mais leur exploitation, que ce
    soit par les employeurs ou par les parents.

    En admettant pourtant qu'on donne aux enfants les pleins moyens de se
    protéger contre toutes les formes de pression parentale ou autre, j'imagine
    assez mal, dans l'hypothèse d'une école non obligatoire (donc nettement plus
    intéressante), comment éviter que les enfants sans le sou ne se trouvent
    contraints de travailler (et s'ils y sont contraints, plus aucun contrôle ne
    saurait empêcher l'exploitation), alors que les petits riches s'offriraient le
    luxe de " faire des études " (sous forme de lectures ou de voyages par
    exemple).

    Non, je ne vois guère d'autre solution que d'éviter le travail salarié,
    en étant assuré d'un minimum de revenus fixes (les enfants sont aussi capables
    que les parents de gérer leurs allocations dites " familiales " et cela dès
    qu'ils savent compter jusqu'à cent). Par ailleurs, ce qui remplacerait
    l'éducation nationale, en rendant l'école non obligatoire, pourrait se
    permettre avec les économies ainsi réalisées de payer les enfants qui
    désireraient étudier quelque chose ; chaque enfant aurait ainsi le choix entre
    travailler à apprendre (" faire des études) ou travailler pour créer,
    produire. Reste à concevoir un système où ce ne serait plus l'état qui
    allouerait les sommes nécessaires au fonctionnement des apprentissages mais des
    associations, des municipalités, etc.

    Quoi qu'il en soit, il n'y a pas la moindre raison de garder cette
    distinction entre majeures et mineurs. On s'aperçoit alors que tout ce qui peut
    apparaître " inhumain " pour des enfants n'est rien moins qu'inhumain en soi.
    Mais je reviendrai sur majorité et minorité dans un autre chapitre. Restons-en
    à ce " tour du propriétaire ".

    As-tu entendu parler des " petites personnes " en polyester qu'on
    vend à Cleveland, aux Etats-Unis, pour un peu moins de mille francs ? Il
    s'agit d'un magasin qui simule un environnement médical ; les vendeurs sont
    déguisés en médecins et infirmières. Les adultes qui achètent leur bébé se
    plient à tout un rituel d'adoption, ils s'engagent par écrit à s'en occuper
    comme si c'était de vrais enfants, ils peuvent choisir des bébés de tous les
    âges, des prématurés jusqu'à ceux qui sont déjà dans la classe de maternelle
    qui est un peu plus loin. Le " personnel médical " leur donne des conseils et
    note dans un fichier la date d'achat pour envoyer tous les ans une carte
    d'anniversaire à la poupée. En 1981, le Baby Land General Hospital avait fait
    plus de cinq milliards de dollars de chiffre d'affaires. Remarque que les
    parents de Cleveland sont mieux inspirés de jouer à la poupée avec des poupées
    qu'avec de vrais mioches. Beaucoup n'ont pas cette sagesse.

    L'enfant réussi, c'est celui qui sait " se faire " à toutes les
    exigences de ses parents. " C'est toujours quand une femme se montre le plus
    résignée qu'elle paraît le plus raisonnable ", a dit Gide. Et les enfants
    donc ! Le racket à la protection marche ici à fond. Sur lui on a bâti les
    relations " infantiles-adultiles " (l'expression est de Léo Kameneff). Il
    s'accompagne du mépris habituel du protecteur pou le ou la protégée. Jamais
    personne n'oserait s'adresser à un adulte comme on parler ordinairement aux
    enfants. Fais pas ci, fais pas ça, dis bonjour , mets pas tes mains, tiens-toi
    droit, lève-toi, donne ta place, viens ici, va-t'en, reviens vite, m'énerve
    pas, jette ça, garde-le, éteins, obéis, apprends-moi ça, ouvre la bouche,
    baisse la tête, regarde-moi, touche pas, t'as pas le droit, c'est pas de ton
    âge, mets ça, souris, lave-toi, mange, fais caca, dis-nous tout?

    Nous devrions devant chaque enfant que nous rencontrons rougir de honte
    pour toutes les humiliations que nous leur faisons subir. Je ne connais aucun
    domaine de la vie sociale où l'indélicatesse soit poussée aussi loin. Quand un
    adulte, dans telle ou telle situation particulière, dit qu'on le " traite en
    enfant " ou qu'on l' " infantilise ", il exprime fort justement son
    indignation d'être considéré comme un être dépourvu d'intelligence et
    irresponsable.

    Ainsi que le fait remarquer Korczak, l'adulte prend son temps, l'enfant
    lambine, l'adulte pleure, l'enfant pleurniche, l'adulte est persévérant,
    l'enfant est obstiné, l'adulte est parfois distrait, l'enfant seulement
    étourdi. J'ai entendu parler d'un sketch télévisé américain qui vaut sans doute
    mieux que les fameuses " séries ". On y voyait un couple recevant un autre
    couple. Le premier dit à ses invités des choses très aimables telles que :
    " Ca vous fatiguerait de vous rendre un peu utiles ? ", ou : " Combien de
    fois devra-t-on vous dire de laver vos sales pattes avant de vous mettre à
    table ! ", ou encore : " Vos histoires, il n'y a vraiment que vous pour en
    rire ! "

    Sans voir les interlocuteurs, quand on entend un adulte s'adressant à
    un enfant, on ne peut s'y méprendre même lorsque les propos sont polis. On ne
    manquera pas de trouver normal qu'un gosse " indiscipliné " dise merde à un
    adulte, mais on serait bien scandalisé d'entendre un enfant calme et réservé
    s'adresser à son professeur en lui disant : " Laurent, arrêtez de bouger
    comme ça, vous me donnez le tournis. " L'inverse serait de la part de
    l'enseignant une remarque très anodine.

    Tu me diras qu'évidemment la personne la mieux intentionnée du monde ne
    peut que perdre son sang-froid devant trente jeunes personnes qui sont là
    contre leur gré. Dans l'état actuel des choses, il est aussi difficile pour un
    adulte de vivre avec des enfants que pour un enfant de vivre avec des adultes.
    Le nombre ici interdit de concevoir chaque être comme unique, étonnant,
    intimidant par là même, en un mot : aimable.

    Korczak lui-même qui a aimé les orphelins dont il avait la charge
    jusqu'à vouloir mourir avec eux dans le ghetto de Varsovie, Korczak raconte
    commet, plongé dans des comptes difficiles, il est dérangé toutes les minutes
    par des gamins. Arrive un petit garçon qui vient juste lui apporter un bouquet
    de fleurs. Il jette le bouquet par la fenêtre, attrape le gosse par l'oreille
    et le met à la porte. En disant qu'on traite les enfants comme jamais on ne
    traite ses pairs, il ne fait pas plus que moi de moralisme. Je sais tout à fait
    qu'il est impossible d'être toujours patient face à des individus qui n'ont pas
    encore perdu toute spontanéité et qui savent encore crier, courir, réclamer de
    l'amour, jouer. L'école comme concentration d'enfants ne peut qu'être
    répressive. Il est parfaitement exact que les enfants y sont insupportables et
    énervés. On le serait à moins. Marie, j'ai fait en sorte que non seulement tu
    ne souffres pas de la tyrannie des adultes, mais encore que tu ne sois pas,
    toi, réduite à les tyranniser. Où que tu sois passée, on t'a trouvé délicate,
    enjouée, attentionnée, montrant avec les adultes la même patience qu'avec
    qu'avec les tout-petits ; toujours je serais en admiration devant le climat de
    liberté que tu sais créer autour de nous. Je craignais bien un peu de vivre à
    deux et je t'interrogeais lorsque tu étais dans mon ventre, délicieusement
    étrangère ou étranger à moi, inconnue, inconnu. " Dis, enfant, saurons-nous
    vivre ensemble ? Nous entendre ? Est-ce difficile d'habiter à deux dans une
    même maison ? Nous aimerons-nous ? Si nous ne nous aimons pas, saurons-nous
    trouver des modes de vie satisfaisants ? " Il me semblait que tu donnais la
    parfaite réponse en étant simplement là. Tout souriait en moi. Je suis si
    heureuse de te connaître et d'avoir pu t'éviter de vivre huit heures par jour
    dans la meute !

    Oh je sais bien que l'enfant n'est pas maltraité qu'à l'école et que la
    famille, qui est supposée être le lieu de la tendresse, est d'abord celui de
    toutes les violences, de toutes les haines. Les deux idées coexistent : la
    famille est l'asile privilégié où l'on peut se mettre à l'abri du monde
    hostile ; mais aussi l'école pour l'enfant, le travail pour la femme (plus
    rarement, pour l'homme) sont les refuges où l'on fuit l' " enfer familial ".
    C'est un monde bien cruel que celui d'où l'on cherche constamment dans la
    panique à s'évader.

    Dire qu'en famille se déchargent les frustrations que jamais les uns ni
    les autres n'oseraient avouer à des tiers n'est qu'une lapalissade. La famille
    est l'espace où l'on peut être " naturel ", c'est-à-dire brutal. On y échange
    des méchancetés dont tous les témoins sont tenus au secret. John Holt, le très
    intelligent, dit que tout esclave peut posséder, en ses enfants, " ses propres
    esclaves de fabrication maison ". Le gosse tyrannisé s'entend dire : " Plus
    tard, tu seras le maîtres ; pour l'heure, tu obéis. " Le maître de qui ? Le
    maître de ses enfants, sur lesquels il se vengera. C'est " humain "?

    Des travailleurs sociaux veulent devant moi défendre l'école et me
    rappellent que quarante mille enfants chaque année en France sont maltraités
    par leurs parents. Ils en concluent que l'école a " quelque chose de bon "
    puisqu'elle protège de la famille. Pauvre école ! On lui aura donc tout fait
    faire. Bien sûr, elle est forcément aussi assistante sociale. Comment concevoir
    notre système social sans les assistants ad hoc ? C'est eux qui constituent
    l'équipe de maintenance.

    Tout est pour le mieux. L'école défend les petiots contre les abus des
    parents. Les parents veillent à ce que l'école ne se substitue pas à eux. Les
    adultes mutuellement se contrôlent et contrôlent la situation. Les mômes en
    sont les otages.

    Quand bien même je n'aurais pas désiré vivre quelques années en
    compagnie d'un enfant, j'aurais, je pense, été tentée d'examiner d'un regard un
    peu critique les quelques postulats sur lesquels se fonde l'autorité de
    l'adulte sur l'enfant. Il semble aller de soi que le monde des adultes est le
    monde normal et que les parents y adaptent l'enfant. En vertu de quoi ?

    Mise à part la légende triviale qui voudrait que l'adulte fût plus mûr
    ou plus sage (n'importe quel bulletin d'information suffit à foutre en l'air
    des sornettes pareilles), demeure encore l'argument du " pouvoir par le
    savoir ". Les adultes sauraient man½uvrer le monde, pas les enfants, parce
    qu'ils maîtriseraient les techniques. Cela n'a aucun sens : tout môme de douze
    ans qui a fait un peu d'électronique me dépasse complètement en ce domaine. Qui
    de toi ou moi répare les appareils ménagers, examine la première les notices
    d'emploi, a l'idée de démonter une mécanique qui se déglingue ? Pas moi. Si
    l'on s'en tient au seul savoir scolaire, le gosse, en principe, n'a pas encore
    eu le temps d'oublier tout ce que moi j'ai oublié. Quant aux autres savoirs,
    c'est inutile même d'y faire allusion : un enfant de sept ans pianiste en sait
    plus en ce domaine qu'un adulte qui ne l'est pas. Ce n'est pas l'âge qui jamais
    conféra le savoir.

    Alors d'où viendrait cette autorité de l'adulte ? De sa taille ?
    Parce qu'il est plus facile de donner un coup de pied à un pékinois qu'à un
    doberman ? Réponse insuffisante ; il est tout à fait vrai que généralement on
    fout aux gosses des torgnoles jusqu'à ce qu'ils soient en âge de les rendre,
    mais certains adultes qui n'ont jamais frappé un enfant n'en jouissent pas
    moins d'une autorité reconnue. Il est même admis qu'un adulte non-violent peut
    ne pas lever la main sur un gamin 'c'est même devenu la règle dans
    l'institution scolaire française), mais il est inadmissible qu'un adulte se
    conduise avec un enfant comme avec un égal (par exemple demander à un môme de
    quatre ans s'il préfère habiter dans telle banlieue ou tel arrondissement, ou
    ce qu'il pense des élections européennes, ou s'il intéresse aux gadgets de la
    libération sexuelle, etc.). Si un adulte avait exactement la même attitude avec
    un enfant qu'avec " quelqu'un de normal ", on le prendrait pour un malade
    mental (ou un délinquant s'il s'avisait de " détourner " l'enfant du droit
    chemin).

    L'autorité de l'adulte, c'est-à-dire le pouvoir d'imposer l'obéissance,
    découle de sa fonction (de son esclavage même). Il est, lui, à sa place,
    " parvenu au terme de sa croissance " comme dit le dictionnaire. L'enfant n'a
    pas encore eu le temps d'assimiler tout ce qui fera de lui un être artificiel.
    Il n'est pas encore conforme, bien qu'il le désire (ne pas sous-estimer la
    complicité de l'enfant dans cette sombre histoire).

    La fonction de l'adulte, vis-à-vis de l'enfant, est de le former, de
    l'éduquer. La fonction unique de l'enfant est d'être éducable. Ces fonctions
    sont admises par les deux parties, si bien que les rouages tournent. Du point
    de vue sociologique, la fonction permet à la mécanique de fonctionner et on
    peut expliquer chaque rouage de cet engrenage en circuit fermé par les autres
    pièces. La soumission vient de l'autorité qui vient de la soumission, etc.
    L'autorité, en d'autres termes, vient de ce que ça marche. La soumission vient
    de ce que ça marche. ça : la société prise dans son ensemble.

    Ça marche, mais ça ne va pas dans mon sens. Là est la question. Face à
    cette mécanique, je ne peux résoudre un problème éthique à partir de données
    sociologiques. Car lorsque je demande : " Pourquoi cette mécanique-là et pas
    une autre ? ", on me répond : " Parce que la société ne peut fonctionner
    que sur les bases d'une discipline (d'une éducation) rigoureuse. " En faisant
    semblant de répondre à mon pourquoi, on répond au comment.

    L'homme est un animal social (comme le rat). Oui, entre autres? Mais on
    peut dépasser ce " stade-là ", non ? Je ne suis même pas certaine que
    l'homme descende du singe mais je suis à peu près sûre de venir de l' " animal
    social " appelé homme. Et pourquoi n'irais-je pas plus loin ? Je ne suis pas
    amateur de science-fiction et je ne veux pas rêver d'un monde où les gens
    auront évolué jusqu'à s'individualiser. Je n'ai pas le temps et c'est dans ma
    vie que je veux passer de l'animal social, que j'étais en naissant, à mon
    individualité. Et ne plonge pas, petite fille, dans le piège risible consistant
    à voir dans le social la condition de la relation. L'individualisation de
    chaque être ne mène pas à une solitude pire. Au contraire, seul l'être humain
    dégagé de son animalité sociale (de sa bêtise organisée) donne une chance à
    chacun de vivre dans un monde où peuvent enfin s'aimer des individus délivrés
    des mécanismes.

    On peut casser les déterminismes, on peut casser les machines. La
    liberté est une vue de l'esprit. Justement, c'est là sa puissance. Elle
    n'existe que par ce que j'en conçois et crée.

    Mais d'abord, comprendre. Comprendre le sens de la pièce, le modifier,
    le refuser éventuellement et aller jouer ailleurs. On peut aussi ne pas aimer
    le théâtre. Mais quant à moi, je supporte difficilement de vivre au milieu de
    marionnettes à langue de bois. Je veux comprendre. Comprendre !

    La manipulation participe toujours de l'oppression. Les enfants sont
    des dindons. Les parents " cool ", ceux que tu appelles les " parents
    frais ", on en a connu quelques-uns? " Qu'est-ce que tu dirais, Valentin,
    d'aller quelques mois à l'école en bateau, hein ? C'est une expérience
    fantastique pour un jeune de naviguer, en toute responsabilité? ça m'aurait
    passionné, quand j'avais ton âge? Plutôt que de glander à l'école, au moins tu
    apprendrais la navigation. Ça pourrait plus tard te servir? Tu ne veux pas
    qu'on aille voir ? Oh ! Mais je ne t'oblige pas ! C'est juste une
    suggestion? " à deux, on pourrait en écrire des pages et des pages de ce
    style ! La manipulation, parmi les " libéraux " qu'on fréquente, c'est le
    nec plus ultra de la rhétorique pédagogique. J'entends la voix de tel ou tel
    spécialiste : " Laisse-moi faire? je sais parler aux gamins? "

    Bon. Mais je tiens à affirmer que j'ai rencontré des femmes ou des
    hommes qui pouvaient parler à des gosses ou des adultes sans jamais chercher à
    les manipuler ; j'en ai vu ! Des gens capables d'expliquer la situation avec
    ses avantages et ses inconvénients et de dire ensuite : " Réfléchis et
    dis-moi ce que tu auras décidé ", capables aussi de dire : " Je ne suis pas
    du même avis mais c'est à toi que revenait cette décision, on va essayer "
    sans faire la gueule, sans avoir peur. Jean-Pierre, Christine, Geneviève, tu
    vois, Marie, ces adultes-là m'apprennent à vivre et je suis tout heureuse de
    leur devoir ça. N'empêche? c'est rare.

    Pas de pédagogie possible sans trafic ni manigance (puisque la
    pédagogie repose sur l'idée que l'adulte est dans le vrai et qu'il faut amener
    par tous les moyens l'enfant à cette vérité).

    L'adulte doit donc dépenser son imagination à faire que les choses
    " s'arrangent " dans le sens qu'il veut leur donner, tout en préservant
    l'illusion de l'indépendance de l'enfant.

    J'ai très envie de te parler d'un livre que j'ai détesté. Il est pour
    moi la quintessence de toute entreprise pédagogique scolaire. Ça s'appelle
    écoute maîtresse5.

    Le fait que la maîtresse en question soit institutrice d'enfants

    internés non seulement ne change rien à l'essentiel, mais dévoile admirablement la névrose scolaire de tout pédagogue : normaliser, intégrer, adapter, forger
    les esprits. Il n'y a qu'un seul passage plaisant dans ce livre d'horreur,
    celui où elle s'insurge contre l'équipe soignante lui reprochant de manipuler
    les enfants. Parce qu'elle " assume ", comme on dit, si effrontément qu'elle
    en est désarmante : " Eh oui, je manipule ! Je manipule du matin au soir,
    pour tout, pour les faire entrer, pour les faire écrire, lire, peindre,
    dessiner, découper, enfiler de perles, chanter, danser? Et ça n'est pas par un
    goût immodéré du jeu que je me fais enfant avec eux, [?]. Tout cela n'a d'autre
    but que de les piéger un peu mieux aux rets de mes activités plus
    " sérieuses ". Vous ne vouliez pas cela ? Il ne fallait pas me les donner,
    il ne fallait surtout pas me demander d'essayer de leur apprendre quelque
    chose. "

    J'endure moins bien l'autoritarisme fou qu'elle emploie auprès des
    enfants à qui, écrit-elle, " [elle] offrai[t] ainsi la même illusion
    rassurante de l'école ". L'axiome est classique et c'est bien pourquoi son
    discours est si splendidement révélateur de ce que les adultes conçoivent de
    l'éducation des enfants car, en l'occurrence, les " enfants fous " sont des
    " super enfants ", des enfants purs, des enfants parfaits. Et la maîtresse
    s'en donne à coeur joie : ces enfants " voulaient aller à l'école tout en ne
    voulant pas ", ils disaient qu'ils ne voulaient pas mais Suzanne Ropert sait
    mieux qu'eux ce qu'ils veulent, " en les obligeant, on va dans leur sens ".
    Ce passage que je vais citer, Marie, tu ne peux pas savoir quelle répulsion il
    provoque en moi ; tant de certitude, tant de bêtise sont un condensé du pire.
    Cette violence, je la reçois comme une menace personnelle : je suis un cheval
    qui n'a pas soif que n'importe quel pouvoir un jour peut noyer. Au moins
    puis-je espérer alors que par ma folie jusqu'à en mourir je saurai dire non.

    Elle dit, la maîtresse : " Car ce que nous voulons avant tout, ce

    pourquoi, d'ailleurs, on a prévu une école à l'intérieur de cet hôpital
    psychiatrique, c'est bien d'amener les enfants à accéder à ce " savoir "
    qu'ils refusent. Or, me direz-vous, " on ne fait pas boire un cheval qui n'a
    pas soif ". Freinet nous l'a assez répété. C'est vrai. Mais ici, dans notre
    réalité quotidienne, les choses sont différentes : le cheval a soif mais, le
    plus souvent, il ne peut pas boire, sa " folie " l'en empêche. Il se peut
    qu'il ne " veuille " pas, mais cette volonté ne relève pas d'un libre choix,
    d'un libre arbitre. Le refus ou l'impossibilité sont des symptômes d'un
    mal-être, ou d'un non-être, dont il nous faut bien tenir compte pour notre
    pratique quotidienne, mais qui ne doit pas nous empêcher d'entreprendre un réel
    travail d'enseignement auprès de ces enfants qui se sont quasiment mutilés
    d'une partie d'eux-mêmes pour mieux résister à une insupportable réalité tant
    intérieure qu'extérieure. "

    Ce qui me tourmente, c'est cette espèce d'inconscience qui fait du plus
    terrifiant une pacotille. Au mur, pour le son " oi ", elle affiche : " à
    l'école, c'est la maîtresse qui fait la loi " ; elle nous dit ça et ajoute
    une note : " Ce qui est absolument faux, la maîtresse ne fait pas la loi,
    mais elle la fait respecter. Ce jour-là, j'ai sans doute rétabli une situation
    normale dans ma classe, et j'ai aussi induit mes élèves en erreur. Je ne ferais
    plus écrire le même texte maintenant. "

    Est-ce que j'ai bien lu ? D'où vient que sa manière de s'exprimer me
    rende folle ? La suite du texte fait que de toutes mes forces, de toute mon
    âme, je désire qu'un immense hurlement des enfants et de leurs alliés fasse
    éclater les vitres et les murs de toutes les écoles. Elle poursuit ainsi la
    maîtresse : " Moi qui prêchais autrefois - comme c'est loin, en effet -
    l'autodétermination des enfants, la libre expression, etc. En réunion de
    synthèse, on se retrouve parfois plusieurs à oser évoquer ce rôle désagréable
    que nous sommes amenés à jouer, qui va à l'encontre de nos convictions
    profondes d'adultes, nous qui avons réellement foi en l'autre, qui posons a
    priori, dans notre rapport quotidien aux choses ou aux êtres, que la règle
    première d'action est d'accorder confiance? "

    Elle dit aussi que son rôle de flic " rassure les enfants " et que
    " c'est très difficile à assumer ". Comme j'ai peur, ma petite fille, quand
    je sens monter cette dégoûtante odeur de complicité faussement malheureuse.

    La tutelle qu'on exerce sur les enfants et les fous est, d'un point de
    vue tendanciel, la tutelle qui nous menace tous dès lors que nous vivons en
    critiques, en hors-la-loi, les rapports sociaux. La norme est adulte. Est
    adulte celui sur qui le temps a passé et qui ne s'étonne plus. Qui ne s'étonne
    plus ne s'indigne plus.

    Pourtant rien ne va de soi. Et tu te rends bien compte, Marie, de ce
    qui grince dans le discours de cette " maîtresse adulte normale " : elle se
    scandalise de ce que ces enfants fous n'acceptent pas l'école et s'élèvent
    contre la force des choses. Ce qui est dit ici, tout simplement, c'est que les
    enfants " normaux " sont aussi sclérosés que les adultes et que nous ne
    pouvons aucunement compter sur une rébellion enfantine. être enfant ne garde
    personne d'être engourdi. C'est ce qui permet au système scolaire de
    fonctionner. Dans ce lieu réservé aux gosses fous, l'institutrice ne peut
    qu'engager une épreuve de force et revient sans arrêt sur sa mauvaise
    conscience de matonne6 ; violeuse par devoir, elle rend tout viol par désir
    plus acceptable. Elle est l'image vivante de ce qui empêche les gens de vivre,
    de jouir de leurs respectives intelligences. Suzanne Ropert n'existe presque
    pas, elle est cette humaniste libérale et mécanique qui impose sa loi du bien
    et du mal, qui sait ce qui doit nous faire agir, qui pense pour nous. Bien
    entendu, je ne connais ni de près ni de loin cette sinistre femme et mon
    aversion pour ce qu'elle représente semblera à quelques uns indécente, d'autant
    que ce personnage n'est rien d'autre que commun ; c'est d'ailleurs bien
    pourquoi je t'en parle. Je gage que peu de pédagogues (enseignants ou parents)
    se sentent réellement horrifiés par ce passage-ci : " Moi-même, par ailleurs,
    je ne suis pas prête à renoncer au rôle bêtement scolaire qui est lié à mon
    titre, même si parfois, souvent, le doute me saisit sur l'efficacité de ce que
    je suis en train de mettre en place. Renoncer, en effet, ce serait m'engager
    dans le piège dangereux tendu par les enfants, et dont ils ne savent pas, bien
    sûr, qu'ils nous en tendent de tels aux quatre coins de nos activités
    quotidiennes, aux uns et aux autres? En leur donnant ainsi raison, on signerait
    en quelque sorte son propre arrêt de mort, à travers celui de l'école, mais
    encore et surtout, le leur. Car enfin, ces forces " mauvaises " qui poussent
    les enfants à détruire de multiples façons, à défaire ce qui se fait, ne
    relèvent pas, loin de là, d'une volonté consciente, délibérée. Elles sont une
    des facettes de leur mal, conséquence, effet, dont ils ne sont pas maîtres
    souverains mais plutôt tragiquement victimes. En protégeant l'école, en me
    protégeant, moi, d'une possible destruction, j'ai le sentiment de protéger
    l'enfant avant tout de lui-même, de ce qui le ronge, le détruit au fil des
    jours7? "

    Nous voici très exactement au c½ur de mon refus. En " protégeant
    l'école " ou toute forme de pédagogie, l'adulte a le sentiment de " protéger
    l'enfant contre lui-même. ". Cette imposture n'a qu'un but : faire en sorte
    que l'enfant devienne un membre de cette société (quelle qu'elle soit) et non
    lui-même.

    On a corrigé les enfants tant et plus. Par la fessée, le fouet, le
    jeûne, les corsets, la prison. On les a contraints, par tous les moyens
    possibles, à entrer dans le moule. Je ne me fais pas d'illusions et, comme
    Neill, j'admets que le besoin d'approbation est un besoin humain profond. Dans
    le souci de plaire des enfants entre un élément qui " remplace avantageusement
    la crainte ", comme disent les parents modernes. Les mioches ont envie, n'en
    doutons aucunement, de répondre à ce qu'on attend d'eux. On n'est pas toujours
    obligé d'user de violence pour les faire se plier aux règles. La douceur
    parvient aux mêmes résultats. L'essentiel restant l'acquisition, de gré ou de
    force, d'automatismes sociaux.

    Imagine un peu que les enfants n'en fassent qu'à leur tête ! Où
    irions-nous ?
    La phrase que j'ai sans doute entendue le plus souvent depuis ta
    naissance, c'est vraisemblablement : " Mais enfin, un jour ou l'autre il
    faudra bien qu'elle apprenne à obéir ! " L'obéissance est une vertu. On
    mesure les qualités de tout responsable à la faculté qu'il a de " savoir se
    faire obéir ". On parlait beaucoup de pouvoirs et de la lutte à mener contre
    eux, il y a quelques années. J'étais toujours très ulcérée de cette bagarre
    contre les autorités en place qui ne pouvait que viser à les remplacer. La
    seule lutte profondément utile à mener, ce n'est pas contre l'autorité mais
    contre la soumission. Là seulement, le pouvoir, quel qu'il soit, est perdant.

    Pire que tout fascisme, que toute tyrannie, son acceptation - si
    possible malheureuse, c'est encore plus tragique. Quand je songe à Ropert, je
    ne sais ce qui m'éc½ure le plus de sa mauvaise foi ou de son spleen. C'est
    littéralement la mort dans l'âme qu'elle violente les enfants. Mais il le faut.
    Pourquoi ? Parce que c'est nécessaire. Et ce n'est pas drôle de faire souffrir
    les gens ! Il faut vraiment y être obligé !

    Là, Marie, je veux absolument te raconter l'expérience hallucinante de
    Stanley Milgram8.

    Des gens, pris au hasard parmi des personnes ayant accepté de
    " participer à une expérience de psychologie ", sont reçus dans un
    laboratoire. Là, quelqu'un, habillé de la blouse blanche du savant, explique
    qu'il s'agit de faire apprendre à un soi-disant étudiant des listes de mots en
    vue d'une recherche sur les processus de mémorisation. L'élève est assis sur
    une sorte de chaise électrique et le sujet qui est donc censé lui faire
    apprendre les mots doit lui envoyer des décharges de plus en plus violentes
    jusqu'à ce qu'il réponde juste. En réalité, l'élève supposé est un acteur et ne
    reçoit aucun courant. Mais il va mimer le désagrément, puis la souffrance, puis
    l'horreur du supplice et enfin la mort au fur et à mesure que les sujets
    appuieront sur les manettes graduées de 1 à 30, de 15 volts à 450 volts. Sur la
    rangée des manettes sont notées des mentions allant de " choc léger " à
    " attention, choc dangereux " en passant par " choc très douloureux ", etc.
    à quel instant le sujet refusera-t-il d'obéir ? Le conflit apparaît lorsque
    l'élève commence à donner des signes de malaise. à 75 volts, il gémit, à 150
    volts, il supplie qu'on le libère et dit qu'il refuse de continuer
    l'expérience, à 425 volts, sa seule réaction est un cri d'agonie, à 450 volts,
    plus aucune réaction.

    L'intérêt de cette expérience, c'est que 98 % des sujets acceptent le
    principe même de cet apprentissage fondé sur la punition. 65 % iront jusqu'aux
    manettes rouges (le sujet a été prévenu qu'elles pouvaient causer des lésions
    très graves, voire la mort), la dernière est celle de la mort assurée.

    Or il ne s'agit nullement d'une expérience sur le sadisme, comme le
    montrent les multiples variantes qui ont été tentées et analysées. Car la
    tendance générale des résultats prouve qu'à une forte majorité les sujets ont
    administré les chocs les plus faibles quand ils ont eu la liberté d'en choisir
    le niveau. On en a vu également qui " trichaient " lorsque le " savant "
    s'absentait, assurant faussement qu'ils avaient bien " puni " l'élève. Il
    faut bien garder cela à l'esprit quand on parle de l'étude de Stanley Milgram.

    Ce qui est terrifiant, ce n'est donc pas l'agressivité humaine mais
    autre chose que met formellement en évidence cette expérience : la soumission
    à l'autorité. En effet, les sujets ne punissent l'élève que sur la seule
    injonction donnée par le professeur : " Il le faut. " Ils torturent ainsi
    " pour rien " quelqu'un qu'ils n'ont aucune " raison " de maltraiter si ce
    n'est qu'on leur ordonne de le faire. Et attention ! L'ordre de continuer est
    donné par le " savant " d'une voix courtoise sans aucune menace9. Le sujet ne
    risque rien? Ou plutôt presque rien : il risque d'être considéré comme un être
    désobéissant. Eh bien, 65 % des gens ne peuvent supporter cette idée et
    acceptent de supplicier quelqu'un jusqu'à la mort pour la seule satisfaction
    d'obéir.

    Tu vois que je ne me suis pas tellement éloignée de la matonne, ses
    clefs et ses punitions. Elle ne fait pas ça de gaieté de c½ur et le clame bien
    fort. Mais " il le faut ". C'est comme ça.

    Il est intéressant de voir que, parallèlement à l'expérience que je te
    rapporte ici, l'équipe de Milgram en a fait une autre au moins aussi
    instructive : juste avant l'expérience, on a réalisé une enquête auprès de
    psychiatres mais aussi du tout-venant, leur demandant d'estimer le nombre des
    sujets qui " iraient jusqu'au bout ". Pratiquement toutes les personnes
    interrogées prévoient un refus d'obéissance quasi unanime à l'exception,
    disent-ils, d'une frange de cas pathologiques n'excédant pas 1 ou 2 % qui
    continueraient jusqu'à la dernière manette. D'après les psychiatres et
    psychologues, la plupart des sujets n'iraient pas au-delà du dixième niveau de
    choc, 4 % atteindraient le vingtième niveau et un ou deux sujets sur mille
    administreraient le choc le plus élevé du stimulateur.

    Ces idées préconçues s'appuient sur une croyance qui voudrait qu'en
    l'absence de coercition ou de menace l'individu soit maître de sa conduite. La
    liberté serait une sorte de donnée. Comme c'est intelligent ! La thèse du
    libre arbitre permet à la société de fonctionner comme si elle était une
    résultante des libertés individuelles ; toute rébellion n'est alors qu'un
    non-sens.

    Il serait trop long de raconter les multiples variantes de
    l'expérience, mais l'une des plus significatives consiste à la faire conduire
    par un individu " ordinaire " et non plus par quelqu'un investi d'une
    autorité (comme le savant ou le professeur). Dans ce cas, seize sujets sur
    vingt ont refusé d'obéir invoquant des raisons humanitaires : " Ils ne
    pouvaient pas faire souffrir un homme. " L'ordre en lui-même n'est rien, seule
    l'autorité a du poids.

    Un gouvernement fasciste peut-être renversé et remplacé par un
    gouvernement démocratique, mais la différence est-elle vraiment si
    importante ? Est-elle vraiment si importante dès lors que seules les
    apparences sont sauves et que tout gouvernement repose sur la soumission à
    l'autorité et prépare les gouvernés à tout accepter indépendamment des contenus
    idéologiques supposés ? Un gouvernement démocratique, de type libéral ou non,
    ouvre la voie aux dictatures.

    Dans l'expérience de Milgram, refuser d'obéir équivaut à nier
    l'autorité que quelqu'un a revendiquée a priori, or cela constitue un grave
    manquement non pas à telle ou telle règle mais à toute règle.

    Il ne faut pas se leurrer, c'est bien au nom de la morale que les
    sujets obéissent aux ordres ; ils estiment qu'ils se sont " engagés "
    vis-à-vis de l'expérimentateur et qu'il est mal de renier une obligation ainsi
    " librement " contractée. Goffman a montré à plusieurs reprises que toute
    situation sociale reposait sur ce consensus : à partir du moment où une chose
    est exposée aux personnes concernées et acceptées par elles, il n'y a plus de
    contestation possible. " On ne reviendra pas en arrière " interdit souvent le
    moindre pas en avant. Dans les écoles " de pointe ", le contrat apparaît
    comme le fin du fin. L'élève s'engage librement à faire tel ou tel travail. Et
    personne ne rigole !

    Il s'agit ici de préserver une certaine continuité. Cette continuité
    n'a rien d'innocent. Milgram analyse très pertinemment, me semble-t-il, l'une
    des raisons qui font que les sujets qui ne se sont pas rebellés au début de
    l'expérience se sentent de plu en plus obligés de poursuivre. Car au fur et à
    mesure que le sujet obéissant augmente l'intensité des chocs, il doit justifier
    son comportement vis-à-vis de lui-même. Il lui faut donc aller jusqu'au bout ;
    s'il s'arrête, il doit logiquement se dire : " Tout ce que j'ai fait jusqu'à
    présent est mal et je le reconnais maintenant en refusant d'obéir plus
    longtemps. " Par contre, le fait de continuer justifie le bien-fondé de sa
    conduite antérieure.

    Je t'ai gardé le meilleur pour la fin. Pense à tous ces livres
    d'enseignants qui paraissent et contestent l'école, à tous ces parents qui
    râlent et pleurnichent et expriment leur malaise, à ces articles de journaux
    qui disent que ça ne peut pas durer comme ça. Et pourtant l'école continue,
    inexorablement. Pense bien à tout ça, ma chérie, maintenant que je vais te
    faire part d'une des constatations les plus édifiantes de l'expérience de
    Milgram.

    Il ne faut pas s'imaginer que les sujets obéissent avec entrain ! Que
    non ! Beaucoup trouvent l'expérience odieuse et " ne se privent pas de le
    dire ", d'autres tremblent, pâlissent et ne cessent d'affirmer qu'ils " ne
    peuvent pas le supporter ". Les femmes, plus encore, " en sont malades ".
    Dans l'ensemble, elles éprouvent un conflit d'une intensité supérieure à celui
    des hommes. Elles estiment que la méthode d'apprentissage est cruelle mais
    qu'elles ne " doivent pas céder à leur sensibilité ", " c'est comme avec les
    enfants " ; dans les interviews qui suivent l'expérience, elles se réfèrent
    souvent à leur devoir d'éducatrice. Hommes ou femmes, dans leur majorité,
    trouvent épouvantable ce qu'on leur fait faire et Milgram de conclure : " En
    tant que mécanisme réducteur de la tension, la désapprobation est une source de
    réconfort psychologique pour l'individu aux prises avec un conflit moral. Le
    sujet affirme publiquement son hostilité à la pénalisation de la victime, ce
    qui lui permet de projeter une image de lui-même éminemment suffisante. En même
    temps, il conserve intacte sa relation avec l'autorité puisqu'il continue à lui
    obéir10. "

    Pardonne-moi de m'étendre en ce long chapitre mais, écrivant sur notre
    insoumission, je trouve les investigations de Milgram sur la soumission à
    l'autorité pleines d'enseignements. Certains se sont scandalisés de l'aspect
    " immoral " de cette étude où de pauvres innocents ont été bernés, " croyant
    participer à une expérience sur la mémoire ". Je dirai cyniquement que la
    sociologie a intérêt, tant qu'à faire des expériences, à les réaliser dans les
    conditions les plus proches possible de la vie que nous menons en société. Or,
    la principale condition de la société telle que nous la connaissons est de
    reposer sur le mensonge. Chacun croit faire autre chose que ce qu'il fait. Je
    prends un exemple, au hasard ; celui qui suit ses classes est évidemment
    trompé de la même manière que le sujet de l'expérience de Milgram : l'objet
    avoué serait de permettre à l'élève ou à la recrue certains apprentissages,
    mais le but réel est de lui imposer le principe même de l'obéissance. Les
    " valeurs " inculquées à l'école ou à l'armée telles que loyauté, conscience
    du devoir, discipline sont censées être des impératifs moraux personnels mais,
    écrit Milgram, " ce ne sont que les conditions techniques préalables
    nécessaires au maintien de la cohérence du système ".

    David Riesman, et je m'en tiendrai là pour la sociologie américaine, a
    minutieusement analysé comment une éducation répressive poussait l'enfant à se
    soumettre et, par là même, à se préparer à jouer son rôle dans les fonctions
    répressives. Ne jamais oublier que les petits chefs aiment obéir. Pions, ils
    aiment leur rôle de pions. Eux qui ne contrôlent rien ont la manie invétérée du
    contrôle.

    L'adulte doit surveiller l'enfant, même si " cet enfant ne lui
    appartient pas ". On sait que l'architecture panoptique a été utilisée aussi
    bien dans les prisons que dans les lycées. Jamais un enfant ne doit être
    " livré à lui-même ". Dans les lieux publics, tout adulte a le droit de jouer
    au policier et de veiller à faire respecter les usages aux enfants. D'un autre
    côté, les parents peuvent garder leurs prérogatives d'adultes face à leurs
    enfants devenus adultes. On a vu des gens " enlever " impunément leurs fils
    et filles de plus de dix-huit ans, les séquestrer même pour les " soustraire à
    l'influence d'une secte " et tout le monde trouve ça très normal. D'une
    certaine façon d'ailleurs, les parents gardent sur leurs enfants un droit de
    vie et de mort. Ils décident par exemple de la nécessité d'une opération
    chirurgicale. On a mis au point une " psychochirurgie sédative " pour les
    enfants difficiles et un médecin indien, parlant d'un de ses récents opérés,
    déclare : " L'amélioration constatée est remarquable. Une fois, par exemple,
    un patient avait assailli ses camarades et le personnel soignant de la salle.
    Après l'opération, il est devenu très coopératif et il surveillait même les
    autres11. " On ne peut pas s'y tromper, voilà le parler d'un homme dans toute
    la plénitude de ses moyens intellectuels, un langage adulte !

    Je ne veux pas jouer les malignes devant toi. Une fois au moins dans ta
    vie je t'aurai fait mon numéro de propriétaire. (Face à une amante ou un amant,
    sans doute d'ailleurs aurais-je eu la même inadmissible attitude et ce n'est
    pas à mon honneur.) Tu avais neuf ans. Tu connaissais ma grande aversion pour
    cette pratique aussi avais-tu dû bien mûrir ta décision en m'annonçant que tu
    comptais te faire percer les oreilles. Je changeai de visage et engageai la
    lutte : " C'est une coutume absurde et barbare, c'est une forme de mutilation
    inexplicable. Tu feras ce que tu voudras, je sais bien que tu ne me demandes
    pas mon avis, mais j'aurai de la peine. Réfléchis un an. " Tu es sage et
    n'insistas pas davantage ce soir-là. Quelques jours après, tu revins à la
    charge ; cette fois, j'usai du plus abject argument : " Mon amour, ça va me
    faire mal ! " Une semaine plus tard, face à ta tranquille obstination, j'usai
    de la culpabilisation : " Tout ça parce qu'une telle et une telle ont les
    oreilles percées. Bravo ! Belle originalité ! " Je me sentais quand même
    mesquine et tentais de justifier mon refus en me disant " ça ne vient pas
    d'elle ! Ce n'est pas à elle que je refuse quelque chose. " J'allai plus loin
    encore dans l'hypocrisie le jour où je te dis : " D'accord ! Je ne m'y
    oppose pas mais tu te débrouilles sans moi. Non seulement je ne veux pas m'en
    occuper mais je ne te donnerai pas un sou pour ça ! "

    Oui, j'ai honte ; ça te fait rire ? Tu t'es facilement passée de mes
    services. Stoïque, tu as supporté plusieurs semaines de gêne ; ça s'était
    infecté puis cicatrisé trop tôt ; tu es retournée les faire percer une
    nouvelle fois. Je me suis habituée et je t'offre à présent des pendants
    d'oreille. Mais si, ça te va bien !

    Bien sûr que je suis dans le même sac que tous les autres. Les parents
    libéraux ne sont pas les moins autoritaires et j'en ai vu d'une dureté
    incroyable quand il s'agissait de " faire acquérir son autonomie à
    l'enfant ".

    L'autonomie de l'enfant ! Je lève les yeux au ciel et soupire?
    Faisons-nous ce petit plaisir : disons à voix bien haute que jamais je
    n'ai " voulu ton autonomie ". Il y a deux ans, tu ne dormais encore qu'à mes
    côtés ou près de ta Granny. La moins autonome des gamines ! Ce n'est pas toi
    qui aurais pris le bus toute seule à six ans ! Certes, je n'ai vraiment rien
    contre le fait de prendre seul le bus à six ou soixante-six ans, si personne ne
    vous y oblige d'une manière ou d'une autre. Bien sûr que ça m'aurait arrangée
    que, dès l'âge de cinq ans - ou de deux ans, pourquoi pas ? -, tu ne dépendes
    plus de moi pour tes déplacements dans Paris. Tu aurais été autonome, ma
    chérie, quel pied !

    Mais je ne voulais pas ton autonomie. Ça ne faisait pas partie de mes
    projets. Car je ne voulais rien pour toi, je n'ai jamais rien voulu pour toi,
    je n'ai jamais eu le moindre projet de te voir devenir ni comme ci ni comme ça.
    Hier " bien élevé " voulait dire " policé ", aujourd'hui " autonome ".
    Mais il s'agit toujours d'éducation et je n'ai aucun " charisme
    éducatif " sous prétexte que j'ai désiré mettre au monde de la vie. On peut
    dire que tu m'auras surprise ! Je t'ai laissée pousser comme un champignon,
    " abandonnée à toi-même " et je n'ai pas cessé depuis le 20 avril 1971, 18 h
    50 de m'étonner. C'est cela, un enfant ? Comme c'est beau un être qui se
    déploie tout à son aise, qui fait ce qu'il a envie de faire ! ça m'a donné
    envie? Envie de vivre comme toi, tranquillement.

    Soudain, il y a deux ans, ton corps a changé beaucoup, ton visage a
    pris une expression autre, tu n'as plus dormi avec moi ; tu t'es débrouillée
    seule pour pratiquement tout et j'ai compris que l'enfance était passée. La
    fameuse autonomie était venue e son temps et assurément je n'y étais pour
    rien ! Douze ans et demi où nous avons été heureuse de tout partager et toute
    la vie ensuite devant nous pour savourer nos deux nouvelles indépendances.
    J'ai eu vraiment de la chance de vivre avec toi ! Pars quand tu veux, reviens
    quand tu veux. Rien d'autre ne nous lie qu'une profonde et confiante amitié.

    1 L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Philippe Ariès, Seuil,
    1973.
    2 Cf. Six études de psychologie, Jean Piaget, Denoël-Gonthier, 1964.
    3 Cf. S'évader de l'enfance, John Holt, Petite bibliothèque Payot, 1976.
    4 Comment aimer un enfant, Janusz Korczak, Robert Laffont, 1978.
    5 écoute maîtresse, Suzanne Ropert, Stock, 1980.
    6 Une matonne est une gardienne de prison. C'est bien S. Ropert qui dit,
    poisseuse : " Car, il ne faut pas croire, mais la porte que je referme à
    clef, pour retenir un enfant, même si je l'ouvre à nouveau cinq minutes plus
    tard, voilà qui a un goût de fiel? Et comme le trousseau de clefs se fait
    parfois détestable dans la poche ! C'est si facile d'enfermer ! "
    7 C'est moi qui souligne.
    8 Soumission à l'autorité, Stanley Milgram, Calmann-Lévy, 1982
    9 L'expérimentateur utilisait dans l'ordre quatre " incitations " : 1)
    Continuez, s'il vous plaît ; 2) L'expérience exige que vous continuiez ; 3)
    Il est absolument indispensable que vous continuiez ; 4) Vous n'avez pas le
    chois, vous devez continuer.
    10 Une analyse ultérieure montra que les sujets obéissants accusaient un degré
    maximal de tension et de nervosité légèrement supérieur à celui des sujets
    rebelles. En d'autres termes, ils " râlent " plus contre ce qu'on leur fait
    faire que ceux qui refusent effectivement de marcher.
    11 Cité dans Les Temps Modernes, avril 1973, p.1776.

     

    L'âge de raison par David Olivier

    Information, Réflexion libertaire n°67, mai-juin 1986

    J'étais parti pour faire une critique du livre de Catherine Baker, Insoumission
    à l'école obligatoire (éditions Barrault, 98F). Ce que j'aurai écrit est un peu
    plus personnel, mais, n'importe, le fond y est. Ceci dit, le livre de Catherine
    Baker, je le trouve très bien.

    Quand j'étais petit, je travaillais. Aujourd'hui, je suis grand et je
    travaille. La différence, c'est que quand j'étais petit, je travaillais pour
    mon bien ; je n'étais donc pas payé. Le travail que je fais aujourd'hui, dans
    l'informatique, n'est pas des plus pénibles. Quand je rentre chez moi, je ne me
    suis pas esquinté la colonne sur un marteau-piqueur. Simplement, je suis plus
    proche de 8 heures et 30 minutes de ma mort, et ce temps ne m'a pas appartenu.
    Cela signifie que pendant ce temps, tous mes gestes, toutes mes pensées étaient
    dirigées vers un but qui n'était pas le mien.

    Le travail que font les enfants s'apparente comme celui que je fais aujourd'hui
    au travail de bureau. C'est un travail intellectuel. Il est moins désagréable,
    par exemple, que le travail à la mine. Cela ne signifie pas qu'il soit
    agréable, ni surtout qu'il soit autre chose qu'un travail. Il y a, parfois,
    dans le travail scolaire, le plaisir d'apprendre ; mais ce plaisir existe dans
    beaucoup de travaux intellectuels et ce n'est pas pour autant que l'on leur
    dénie la qualification de travail, ni la rémunération qui va avec.

    Une des raisons mises en avant par les parents pour justifier de leur autorité
    sur leurs enfants, pour les déposséder de toute autorité, est que l'enfant "ne
    gagne pas sa croûte". Moi, adulte, est-ce que je gagne ma croûte ? Je ne
    fabrique pas du pain, je suis informaticien ; je ne fabrique pas ma croûte,
    mais mon activité est réputée socialement utile (on peut en douter), et en
    échange on me donne de quoi acheter ma croûte. L'activité imposée à l'enfant
    - aller à l'école - est-elle "socialement utile" ? Elle est réputée être
    imposée à l'enfant pour son bien. Je ne vais pas répéter tous les arguments que
    l'on trouve dans Insoumission à l'école obligatoire et qui me paraissent
    montrer clairement l'hypocrisie d'une telle affirmation. Je voudrais seulement
    faire remarquer que s'il est peut-être vrai pour un enfant donné, allant à
    l'école, qu'il vaut mieux pour lui (ou plus exactement pour celui qu'il sera
    plus tard) être un bon élève plutôt qu'un mauvais, cela ne signifie rien
    d'autre que le fait qu'ayant dressé des coqs pour un combat de coqs, il vaut
    mieux pour chaque coq être le plus fort. Peut-on prétendre que les coqs vont au
    combat pour leur bien ?


    Chacun pour soi

    En effet, de la maternelle à l'université, l'école est basée sur la
    compétition. On récompensera les vainqueurs, on punira les autres. Il y a les
    concours, où cela est évident, mais c'est vrai tout autant de tous les examens
    et de tous les passages en classe supérieure ; et à chaque instant à l'école
    l'enfant a devant lui, comme perspective qui détermine son travail, un passage
    en classe supérieure ou un examen. L'école est organisée pour que l'on
    s'arrange toujours pour avoir la quantité qu'il faut d'élèves qui passent, la
    quantité qu'il faut qui redoublent ou qui sont éjectés vers des classes
    "poubelle". Au baccalauréat, il faut tant de pour-cent de réussite. Pour peu
    que le taux de réussite dans un département diffère trop de la "moyenne", on
    criera au scandale de tous côtés et les examinateurs seront priés de refaire
    leur correction. D'année en année, les taux restent les mêmes, ou varient selon
    les besoins "économiques". Au fil des ans, les programmes ont changé du tout au
    tout ; il suffit de comparer les programmes de physique en terminale
    aujourd'hui et il y a 20 ans. Mais on s'est arrangé pour qu'ils soient juste
    assez lourds pour que sélectionner le nombre d'élèves voulu.

    L'école n'est qu'un long concours. Lecteurs libertaires qui y mettez vos
    enfants, sachez que la réussite scolaire d'un enfant est au prix de l'échec
    d'un autre. Ce système, j'en ai d'une certaine façon bénéficié et je ne veux
    jeter la pierre à personne ; mais les choses sont ainsi.


    L'enfant ne fait rien

    Je ne sais pas si le travail scolaire doit être considéré comme un travail
    comme un autre ; je constate en tout cas qu'il s'agit d'un travail imposé à
    l'enfant et qu'il doit donc bien profiter à quelqu'un. D'ailleurs si l'enfant
    n'est pas rémunéré pour son travail, les parents le sont un peu, sous la forme
    des allocations familiales, que la loi fait dépendre de la scolarisation de
    l'enfant (loi que l'on peut tourner, cf. Catherine Baker). Et tout cela
    n'empêche pas les gens de croire dur comme fer que l'enfant, dans les sociétés
    occidentales, est comme dans une sorte de paradis où il échappe au travail qui
    lui était imposé au xixème siècle et qui lui est encore imposé dans des pays du
    tiers-monde. L'enfant serait comme dans un rêve. La réalité a beau être que les
    enfants travaillent comme tout le monde, comme on a décidé de ne pas le voir,
    on ne le voit pas. C. Baker le dit bien : l'adulte prend son temps, alors que
    l'enfant lambine, l'adulte pleure, l'enfant pleurniche, l'adulte est
    persévérant, l'enfant est obstiné, etc. L'adulte travaille et gagne sa
    croûte ; l'enfant va à l'école pour son bien ; il n'est pas encore dans la
    vie "active" ; autant dire qu'il ne fait rien, il attend d'être grand.


    L'enfant n'a pas de sexe

    Il y a un formidable mépris de l'enfant qui interdit de prendre ce qu'il fait
    au sérieux. Un adulte, ça se vouvoie. Ça mérite respect. Un enfant, seuls les
    grinceux le vouvoient. Un enfant, on peut le montrer tout nu dans des
    publicités à des millions de gens, ça n'a pas de pudeur, de toute façon on s'en
    fout. Un enfant, ça n'a pas de sexe ; on fait de l'éducation sexuelle, mais
    c'est toujours pour le sexe qu'il aura. Le sexe des enfants, il existe
    peut-être, mais en tant que problème : il n'y a que des médecins qui en
    parlent. Qui se préoccupe de savoir si son enfant à la possibilité d'éprouver
    le plaisir sexuel qu'il aimerait éprouver ? La vie de l'enfant se passe dans
    l'insatisfaction sexuelle ; mais ça non plus, on ne le prendra pas au sérieux.
    Puéril -  voilà un mot qui veut dire "pas sérieux". Comment pourrait-on
    prendre au sérieux quelqu'un que l'on qualifie de "mineur" ? Je connais une
    gamine qui a pleuré toute une nuit parce qu'elle avait perdu un papier et
    qu'elle n'avait donc pas pu faire ses devoirs. Mais ce n'est là qu'une
    gaminerie ; on plaindra surtout les parents, pour la gène - pour l'enfant, ça
    passera ! Encore et toujours, on se réfère à ce que sera l'enfant. L'enfant
    lui-même, on ne le voit pas, il est transparent, quand on le regarde on voit à
    travers lui, son avenir.
    C'est bizarre que ce soit un acte révolutionnaire de pointer un doigt vers ce
    que tout le monde a devant le nez et de dire "voilà, ça existe !". La réalité,
    est révolutionnaire. La réalité, c'est les joies et les souffrances de
    l'enfant, de chacun, au moment où cela existe et non en référence à un avenir
    fantasmatique. L'enfant vit toute sont existence d'enfant dans un monde où la
    réalité la plus évidente est niée. Pendant toute mon enfance, je n'ai pas su
    s'il existait un MOT pour désigner le sexe. Ce n'est pas faute de m'être posé
    la question. La négation répétée de la réalité rend malade. Les adultes sont
    malades.


    Heureux de s'instruire...

    L'école, c'est beaucoup la peur. Je cite C. Baker : "En réalité, Marie, avant
    de concevoir toutes les bonnes raisons qu'on a de ne pas mettre les enfants à
    l'école, j'ai agi spontanément, comme d'instinct, pour t'éviter de vivre toute
    ton enfance dans la peur." L'adulte qui travaille rentre chez lui en ayant fini
    sa journée. L'enfant n'a jamais fini. Il y a toujours une leçon qu'il n'a pas
    apprise, un exercice qu'il n'a pas fait. Quand j'étais enfant, je n'étais
    jamais tranquille. Vivre plus de 15 ans dans la peur, ce n'est pas sérieux ?

    Certains diront que ce n'étaient là qu'états d'âme du fils de bourgeois que
    j'étais. Mais tout le monde sait que les enfants de pauvres sont en général les
    premiers à détester l'école, les premiers à rêver du respect que leur donnera
    un "vrai" travail. Bien sûr, ils sont déçus : à l'usine, le pli est pris et on
    traitera les ouvriers comme les adultes traitent les enfants : mal.

    La réalité est qu'un enfant de pauvre aimerait tout autant qu'un enfant de
    riche se lever quand il a fini de dormir, et non quand la société a décidé de
    le faire lever (pour son bien). Il a tout autant besoin de faire pipi quand il
    en a envie, et non à la récré. Ces choses-là ne sont-elles pas aussi réelles,
    aussi importantes que son "avenir professionnel", qui de toute manière reste
    assez hypothétique dans le cadre de l'école ?

    La liberté, ce serait un bien indispensable pour les adultes, et non pour les
    enfants ? Les enfants sont des êtres humains qui passent 18 ans de leur vie en
    privation de liberté. Comme les assassins. Mais avant de condamner un assassin,
    on fait au moins un procès qui a l'air sérieux. Pour un enfant, le problème
    n'est pas sérieux. Le problème de la liberté des gens devient sérieux quand ils
    atteignent 18 ans. Avant, ils ne peuvent même pas retirer en poste restante
    sans l'accord de leurs parents.


    ... pour devenir raisonnables.

    Ni à l'école, ni dans le travail salarié les gens n'ont la libre disposition de
    leur temps. Les moments sont rares où on peut se poser la question pourtant
    naturelle : que vais-je faire de mes cinq prochaines minutes de vie ? Le
    maître ou le patron ont déjà décidé. D'ailleurs, un des buts principaux de
    l'école n'est-il pas de "garder" les enfants ? La vie de l'enfant est souvent
    celle d'un paquet encombrant. A l'école, quand il n'y a pas classe, il y a
    l'étude - et ses surveillants. Tout ceci, dit-on, parce que les enfants ne
    sont pas raisonnables. Il y aurait un âge de la raison.

    Quand j'étais petit, je pensais. Je m'en souviens très bien. Je pensais à peu
    près comme maintenant, et je pensais à peu près aux mêmes choses. Bien sûr,
    j'ai appris pas mal de choses depuis, à l'école et surtout ailleurs. J'ai
    appris même des choses importantes que je ne connaissais pas parce que l'on me
    les cachait ; comme je peux en vouloir à ceux qui me les ont cachées ! Il y a
    beaucoup de choses que je ne savais pas, et il y en a encore beaucoup : mais
    j'étais sain d'esprit, tout autant que maintenant - alors que pour les
    adultes, tout enfant est une sorte de fou temporaire. "Il comprendra plus
    tard". J'ai la fierté de ne pas avoir encore tout à fait compris.

    Quand j'étais petit, je trouvais les adultes bêtes, irrationnels et inutilement
    méchants. "Mange ton chou-fleur", me disait-on à la cantine ; "tu devrais
    avoir honte, alors que les enfants du Biafra...". La réalité, c'était que je
    n'aimais pas le chou-fleur ; leur fantasme était que j'insultais les enfants
    du tiers-monde. Mais la raison, la rationalité n'est rien. On ne peut raisonner
    un adulte, surtout si on est un enfant. La raison de l'adulte, c'est les
    conventions, les apparences, c'est le juste milieu entre la connerie des uns et
    celle des autres. L'enfant apparaît toujours comme un extrémiste, alors que
    l'adulte, à défaut d'avoir la raison, a l'ordre établi pour lui. La raison de
    l'enfant ne participe pas aux mêmes conventions ; sa parole n'est pas
    sérieuse.


    J'avais peut-être un grain.

    Etais-je le seul enfant raisonnable  ? Je trouvais souvent les autres enfants
    bêtes et cruels ; mais au moins, eux, comme moi, savaient qu'il y avait des
    raisons lorsque nous n'avions pas fait nos devoirs, alors que les adultes ne
    savaient répondre que  : "Veux pas le savoir". Ils avaient toujours tellement
    d'autres choses importantes, sérieuses, à faire. Les raisons de nos envies, de
    nos actes, de nos vies, ils ne voulaient pas les connaître, et pourtant ils
    prétendaient les gouverner. Des gens raisonnables, ça ? Les adultes se
    comportent envers les enfants toujours comme des adjudants.

    Evidemment, si on se contente des préjugés, si on se contente de regarder les
    enfants comme on a pris l'habitude de les regarder, on ne verra pas la
    rationalité de l'enfant. Mais on ne pourra alors non plus prétendre dire vrai.
    On ne dit pas vrai si on s'arrête à la surface des choses, si on ne prend pas
    les choses au sérieux. Et je crois que prendre les enfants, les adultes, et la
    réalité en général pour ce qu'elle est, c'est voir ce que les conventions nous
    masquent, c'est accorder une valeur à ce qui a de la valeur, à nos joies et à
    nos peines, à nos pensées et à nos désirs, qui que nous soyons, et non aux
    "valeurs" que les adultes se fabriquent.

    Je voudrais terminer en remerciant Catherine Baker pour son livre. Il m'a fait
    plaisir.

    David


    Le texte de Catherine Baker constitue le chapitre V de son livre "Insoumission
    à l'école obligatoire", paru en 1985 aux éditions Bernard Barrault. Dans ce
    livre elle s'adresse à sa fille de quatorze ans qu'elle n'a pas mise à l'école.

    Le texte de David Olivier est extrait de la revue Information, Réflexion
    Libertaire n°67 (mai-juin 1986).

    Contre l'oppression des adultes sur les enfants de Catherine Baker (suivi de
    L'âge de raison par David Olivier) a été publié sous forme de brochure (24p A5
    / prix libre) par les Editions Turbulentes en septembre 1999. Catalogue
    disponible contre un timbre à 0.53¤ ou par e-mail : Editions Turbulentes c/o
    Maloka, B.P. 536, 21014 Dijon cedex, France / e-mail : turbulentes@editions.net


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