• L'AN-ARCHIE DANS L'OEUVRE DE HAN RYNER par Hem Day

    « ... car sur l’œuvre de Han Ryner« flotte le drapeau noir de l’an-archie. »

     

               « En ton frère, c’est l’homme profond que tu aimes, l’homme profond, non les masques superposés où grimacent un temps et un pays... Ton amour pour tous à la force de détester en chacun les chaînes naïves dont il se charge : patrie, doctrine, politique, religion, règlements, statuts, lois et disciplines... Plus tu deviens toi-même et ta réalité, plus aussi tu aimes chez autrui la réalité que les superficiels ne soupçonneront point. Maintenant tu est. Arme-toi uniquement de toi-même : le tyran ou les esclaves sourds te frappent mortellement, lutte contre les mensonges locaux et contre les mensonges actuels. Explique à tes frères que, pauvres, blessés, ils protègent les gangrènes dont ils meurent. »

                                                                   Han RYNER.

     

              Un désir exprès me porte à préciser l’an-archie dont toute l’œuvre de ce stoïcien libertaire est marquée. N’en déplaise à Jean d’Arvor, ami, des Amis de Han Ryner, cette appartenance n’est pas seulement symbolique; notre Socrate moderne, notre Diogène ressuscité, notre apologiste des philosophes cyniques, le proclame en maints passages de ses écrits. Ce n’est pas là une classification absurde, mais ce que je pense déraisonnable, c’est de la mêler à cette altération de l’an-archie abritée « sous l’emblème du drapeau noir, de l’agitation révolutionnaire, du désordre et du nihilisme vain et destructeur. »

     

              Si j’en avais le loisir, il me plairait de renverser cette conception par trop personnelle de Jean d’Arvor sur l’an-archie, à croire qu’il ne s’est guère appliqué à l’étude de cet idéal qu’il rejette avec désinvolture par dessus les moulins. N’en aurait-il point compris toute l’essence, toute la philosophie, pour ne retenir que les broutilles ou les bruits et les échos d’informations intéressés ? Vérité et raison, tels sont entre autres, les objectifs qui guident Han Ryner, et soyez certain, mon cher ami, des AMis de Han Ryner, s’il dénonça les fanatismes, s’il arracha comme vous l’écrivez peu après, « leurs corsets afin de tenter de libérer enfin la pensée humaine » c’est là bel et bien oeuvrer en an-archiste. Mais déjà vous ajoutez que « son anarchie à lui, n’est hostile au commandement que lorsque ce dernier est Mensonge. »

     

              Ce n’est pas sous ce pitoyable éloge, qui peut paraître original, que je me fais la joie d’absorber l’analyse des propos d’un penseur profondément an-archiste; mais avant tout, je veux rejeter ce « drapeau noir », dont généreusement certains aiment draper Han Ryner. Han Ryner avait une aversion profonde pour ces symboles des patries et des patriotes, ces oripeaux lui étaient d’une indifférence totale. Je n’ignore point que certains admirateurs de Han Ryner contestent son appartenance à l’an-archie et vont jusqu’à nier l’empreinte dont est chargée la meilleure partie de ses écrits ou de son oeuvre parlée. Certes, et je le précise à dessein, si l’on veut entendre par an-archie : organisation sociale, adhésion à un mouvement, acceptation d’une doctrine toute faite, fût-elle anarchique, on peut s’imaginer que Han Ryner, au nom de son individualisme refuse cette réalité.

     

              Mais il s’agit de tout autre chose et ce n’est pas que sur quelques fragments de phrases qu’il faut « juger ». Il faut superviser l’ensemble de ses écrits, ne pas s’arrêter aux quelques « broutilles », recueillir ses évolutions et étudier tout particulièrement ses comportements dans la vie quotidienne. Alors, il faut la constater et s’incliner devant le fait incontestable et incontesté : l’esprit de Han Ryner est essentiellement anti-dogmatique, farouchement anti-autoritaire, profondément individualiste, postulats indubitables de l’an-archisme.                   

     

                Tout dans ses écrits, atteste avec autant de passion que de sérénité cet an-archisme, qu’il dispense avec générosité et amour; et cette exaltation permanente d’une pensée libertaire est bien ce qu’il y a de plus créateur dans son oeuvre. Mieux encore, au hasard des lectures, vous retrouverez dans les centaines de revues et journaux, auxquels il a collaboré avec un désintéressement étonnant, sa pensée généreuse débordante d’amour, où il s’affirme en faveur de tous ceux qui, amants de la liberté n’ont cessé d’être persécutés par la loi et l’autorité. Han Ryner, en maintes occasions, s’est dressé par le verbe et par la plume, contre les oppresseurs, afin d’aider à arracher ces victimes aux mains de leur bourreau. Il s’en est allé tantôt au forum, tantôt devant cette justice injuste, défendre les martyrs, emprisonnés politiques, réfugiés des régimes totalitaires et dictatoriaux.

     

              Et voici qu’en témoignant 1922, au procès de Juvenis-Gustave Bouvet - qui fut condamné à cinq ans de travaux forcés, pour propagande subversive, Han Ryner, non sans malice, disait en s’adressant aux jurés : « Juvénis déclare la tolérance une « vertu foncière anarchiste » Il est anarchiste un peu comme Polyeucte est chrétien; l’anarchie c’est pour lui l’ensemble et le bouquet de toutes les vertus. Soyez heureux et tolérants, Messieurs les jurés, et Juvénis croira vous faire plaisir en vous saluant du nom d’anarchistes. » (1)

     

              E. Gomez de Baquero (2), qui pour l’édition espagnole (3) du « Sphinx Rouge », publia un prologue, écrivait : « A parler grosso modo, Han Ryner est un anarchiste : ce penseur considère l’Etat, au moins l’Etat historique, comme un ennemi de l’individu et il voir dans la personnalité individuelle la plus précieuse de toutes les valeurs humaines. » Il précise : « L’anarchie passait auparavant pour l’extrême utopie de l’individualisme. C’était l’aspiration à résoudre par la libre harmonie ces problèmes de la coopération sociale que la tradition historique nous montre toujours livrés d’une contrainte plus ou moins mitigée de liberté. »

     

    -          Mais, direz-vous, Henri Ner (Han Ryner) a publié en 1892, en collaboration avec Émile Saint Lanne : « La Paix pour la vie », un essai où l’anarchisme est traité sans trop grand ménagement. Il est certain, si l’on s’en tient à cet ouvrage de jeunesse, qu’Henri Ner a des pensées, qu’il met difficile de contresigner, et pour cause. L’anarchie a tout particulièrement été analysée dans la dernière partie de l’ouvrage, où les auteurs ont exposé : les luttes et la Paix de demain. Ils recherchent une définition de la société tout en « contenant » le présent dans l’avenir, et exposent la démonstration d’Herbert Spencer : La société est un animal; ils y apportent quelques objections et affirment que la société est un animal composé de cellules conscientes.

     

              Mais, disent-ils, l’humanité est très jeune, l’individualisme paraît condamné; le travail vaincra la fatalité des choses dans cette lutte pour la paix, malgré la loi de Malthus qui se détruit elle même. Je laisse à vos réflexions ces querelles sociales contemporaines, ainsi que les théories des économistes libéraux, avec toutes leurs conséquences : droit au travail, liberté de travail, droit à l’assistance y compris cette sacré loi de l’offre et de la demande, que défendent avec tant d’âpreté les individualistes anglais. On y ajoute l’utilité de la conscience pour le progrès de l’espèce,  la sélection des meilleurs et des plus forts, encore qu’il n’est pas écrit, nous disent-ils, que les meilleurs le soient au point de vue social, et qu’il faille envisager la solution socialiste.

     

              Des systèmes de L. Say et de Lasalle, en passant par L. Blanc et tant d’autres, la gamme est belle, ondoyante, sinueuse. Seule la disharmonie de leurs affirmations, en tempère l’absolu et la rigidité, tandis que le chant des poètes Shakespeare, Byron, Shelley, Sully-Prud’homme, se confine dans les régions métaphysiques, abstraites, où le rêve reprend tous ses droits. Iront-ils vers cette école chrétienne, par un retour au passé, aux principes de charité plutôt que de justice ? A ces contradictions de concept suranné, quoique tempéré par un communisme religieux insuffisant et restreint, faut-il présenter le communisme anarchiste ?

     

              Il est indispensable, pour qui veut saisir la pensée nuancée de Han Ryner, de ne pas confondre « la politique » anarchiste avec les idées anarchistes. Dans « La Paix pour la vie », les auteurs ne se laissent pas troubler par « le bruit des cartouches de dynamite par les cris furieux, les discours incendiaires, par l’affirmation du droit au vol. » Si bien que le but des anarchistes est défini par le système de Proudhon, il consiste à éliminer l’autorité sous un triple aspect : politique, social et religieux. « C’est la dissolution du gouvernement dans l’organisation naturelle, c’est le contrat se substituant à la souveraineté, l’arbitrage au pouvoir judiciaire, c’est le travail, non pas organisé par une force étrangère, mais s’organisant lui-même; ce sont les citoyens contractant librement, non pas avec le gouvernement, mais entre eux. »

     

              Vient alors l’examen des formules de Caferio « Anarchie et Communisme », celles de Kropotkine, « L’Anarchie dans l’évolution socialiste ». Les conclusions des auteurs opposent des objections à l’anarchie, car selon eux, la société est un trop jeune animal, qui doit s’organiser plus fortement encore. Les considérations émises ensuite, ne sont guère aimables pour les anarchistes, qui, entre nous, ne s’en portent pas plus mal :! Vient enfin un chant vers le collectivisme, en passant par Marx et les marxistes.

     

              A travers toutes ces objections formulées non sans quelques raisons valables, les auteurs de « La Paix pour la vie » affirment encore le désir de voir fleurir ce collectivisme qui leur apparaît comme une beauté dans la justice. Ils émettent des réserves qui, pour n’être pas totalement dépourvues de logique, n’en restent pas moins quelque peu chaotiques. Affaire de situations, affaire de dignité ou de réalité; mais la vanité, l’amour propre, l’ambition infirment bien des espoirs parfois. « Les lois et ordonnances protectrices des animaux interdisent de faire traîner une voiture par un chien; elles permettent qu’une femme y soit assujettie. »

     

              Voilà la meute des candidats aux réformes, mais le respect de la vie humaine est oublié dans ce tohu-bohu où seuls ont triomphé jusqu’ici, ceux qui sont montés sur le coche pour régler la course de l’attelage. Il faut forger les âmes nouvelles pour les générations de demain, afin que nos enfants n’aient point honte de tout ce que nous avons traîné sauvagement. « La Paix pour la vie » doit se situer dans son époque, afin de pouvoir mieux saisir l’évolution qui s’en suivra chez Henri Ner, de qui Manuel Devaldès a dit qu’il eût le mérite « de savoir marier intimement, harmonieusement et honnêtement le rêve à la raison. » Manuel Devaldès a magnifiquement situé l’ouvrage « La Paix pour la vie » en révélant un Han Ryner sociologue « opposant cette formule à la formule darwinienne de la lutte pour la vie. »

     

              Ouvrage extrêmement intéressant nous dira Devaldès « dans sa variété didactique, où, bien qu’il s’agisse surtout des faits », et de poursuivre « C’est une compendium de tous les grands faits sociaux et des diverses doctrines sociologiques. Conçu dans un esprit largement humaniste, il a conclut à la nécessité du collectivisme pour le bonheur humain. » Mais, ajoutera Manuel Devaldès, « Han Ryner pense que cette organisation sociale n’est souhaitable et n’est d’ailleurs réalisable qu’autant que l’individu lui-même s’est transformé. » Il faut alors comprendre que ce renouveau dans l’expression de la pensée chez Han Ryner exalte l’individu comme postulat essentiel dans la libération humaine.

     

              Manuel Devaldès avance encore comme conséquence de cette évolution chez Han Ryner que notre philosophe stoïcien libertaire n’attend point la naissance d’une société future, aucune ne lui paraît susceptible de réaliser son rêve et pour cause, stoïcien libertaire, c’est vers l’individualisme qu’il avance, ni sur terre, ni au ciel et ne comprend « la vie », il veut, écrira-t-il dans l’ensemble de son oeuvre, vivre le présent, vivre « sa vie telle qu’il la veut et la peut »; cela veut dire qu’il veut s’approcher de plus en plus de son idéal. Ce n’est pas un absolutisme qui en des rêves impossibles expose l’invraisemblance, mais il exprime des approximations qui sont délivrées dans la mesure du possible, des préoccupations sociales. Voilà son oeuvre d’hier, point de départ d’une pensée qu’il va mûrir par la méditation quotidienne, durant plus de quarante ans.

     

              Nous partageons la façon de voir de Georgette Ryner, qui a écrit sur « La Paix pour la vie » : « Si nous ne pouvons prêter à Han Ryner toutes les idées qui y sont exprimées, je pense que puisqu’il l’a signé il en approuvait le ton et l’esprit. » (4)) Voilà ce qu’elle écrivait encore : « Or, ce que nous y trouvons par dessus tout, c’est le rêve d’une société juste, égale et pacifique, la charité remplacée par la justice, les heures de travail peu nombreuses réparties entre tous, les loisirs considérables, le pain gratuit. Au début nous y lisions cette interrogation : « Le XXème siècle nourrira-t-il les hommes vraiment libres, égaux et heureux », et l’œuvre se termine par l’espoir. » Entrons ensemble, pacifiquement, dans la terre promise de l’égalité. » (5)

     

              Dans une étude qui préface Les Chants du Divorce, « Le Symbolisme social », écrite à Paris, la nuit de Noël 1891, Henri Ner nous dit : « La Révolution, en proclamant les Droits de l’Homme, a proclamé les Droits de l’Individu qui ne peuvent que constituer le Droit de Guerre. Elle a oublié les Droits de la Société, le Droit de Paix et d’amour. » (p. 8) Et il ajoute : « Je ne condamne pas ici l’œuvre de la Révolution et de notre siècle. Comme penseur, je la crois nécessaire. Comme poète, je la sens douloureuse. Il fallait détruire la mauvaise cabane de nos pères, pour élever, sur le même emplacement, le beau palais qu’habiteront sans doute nos fils ou petits-fils. En attendant, nous grelottons, sans abri, au vent et à la pluie. Et nous nous attristons en voyant qu’on démolit toujours. Il serait peut-être temps de reconstruire. »

     

              Dans une étude consacrée à Han Ryner (6), Synis écrit : « ... vers 1891 Henri Ner est socialiste. Commençant son examen de la question sociale, il découvre qu’on a généralisé à tort la loi darwinienne de « lutte pour la vie ». Avec Émile Saint Lanne, il publie un essai : « La Paix pour la vie ». Ensemble, ils trouvent que la loi de Malthus n’est qu’une tendance limitée par de plurielles incidences. Parmi leurs propositions, retenons celle d’assurer à tous la subsistance de « socialiser le pain »‘. Victor Barrucaud reprendra et développera l’idée du Pain gratuit quelques années plus tard. »

     

              Synis poursuit son exposé : « Kropotkine exposera dans toute son ampleur la réalité de l’entraide dans le monde animal, dans l’histoire des sociétés, et comme toujours cette naturelle mise en commun des énergies a toujours balancé la dureté aveugle du combat vital. Cependant, au contact des hommes, le jeune philosophe sent combien toutes les vues réformatrices sont abstraites, combien elles comptent peu sur les réactions des vivants et les caractères individuels. Il aperçoit le danger de légiférer et de croire diriger le rythme hasardeux de l’évolution. Les injustices et les misères qui accablent le peuple spolié, des ordonnances ne suffisent pas pour les abolir. On ne fait que changer le nom de l’esclavage. Mais il faut que l’esclave prenne conscience de ses entraves. Pour se faire libre et réaliser sa justice, la volonté de révolte doit venir à l’individu. »

     

              Ainsi Han Ryner sera conduit vers des recherches plus profondes et son refus de servir d’abord, qu’il affirmera peu après dans son « Crime d’obéir », marque déjà une étape vers une réalisation intérieure. Premier grand livre chez Han Ryner, qui exalte la hardiesse énergique de l’individu qui se refuse à la servitude imposée et même volontaire. Son héros est un type d’homme absolu au caractère droit qui ne peut s’accorder à vivre avec le milieu des hommes qu’il coudoie quotidiennement. « A l’écart, ajoutera Synis dans don étude, Han Ryner a mûri une pensée libertaire, contre la domination politique, il a redonné son importance à l’autonomie personnelle, la réalisation hors des sentiers tracés, des groupes organisés : il n’y a pas de « gouvernement du bonheur », cette seule fin éthique qu’aient à se proposer les hommes. »

     

              Quelque part dans la revue « Les Loups », écrivant la préface à « L’Homme-Fourmi », Han Ryner exprimait en 1913 : « Certes, je m’étais modifié pendant ces longues années (1887) Je n’étais pas seulement un ouvrier qui, ayant appris à se servir de ses outils, espère réussir l’ouvrage manqué jadis. J’étais aussi un homme dont les idées ont changé. Le naïf socialiste qui pensa d’abord l’Homme-Fourmi chercherait, je crois, plus d’une querelle à l’individualiste qui a écrit son livre. Mes vieilles notes témoignent pourtant que ces collaborateurs seraient d’accord sur bien des points. Tous deux rient du « chauvinisme humain » L’ancien homme aimait déjà se pencher sur les frontières de la pensée humaine; essayer, à force de sympathie, de deviner les cerveaux différents du nôtre, heurter aux portes de l’inconnaissable et écouter l’étrange bruit de plein qu’elles rendent. » (6)

     

              Contre le nivellement grégariste archiste, H. Ryner affirme son individualisme : subjectivisme qui fleurit en fraternisme. Impie dans un milieu orthodoxe, Han Ryner apparaît comme hérétique, et s’il maudit les crimes de la patrie dans un monde étouffé de civisme, n’y a-t-il pas là comme l’entrevoit Munoz, une position synonyme d’anarchie réclusienne ? La traduction espagnole de Grecia Libertaria (7) (L’individualisme dans l’Antiquité) qui reproduit l’étude de mon ami Munoz, est précédée d’une citation de Bakounine extraite de « Dieu et l‘Etat » (8) :

     

              « De tous les êtres vivants sur cette terre, l’homme est à la fois le plus social et le plus individualiste. Il est aussi, dans contradiction, le plus intelligent... Il semble qu’il existe un rythme naturel, auquel se conforme une espèce d’animaux quand elle est plus élevée dans l’échelle des êtres, dû à sa plus complète organisation et qui laisse à chacun autant d’ampleur, liberté et individualité. » (9) « Nul plus qualifié que notre si aimé Han Ryner, pour nous exposer la philosophie libertaire de l’ancienne Grèce. Pour être lui-même un hellène, par sa sagesse néo-stoïcienne,  pour être, comme disait Maria Lacerda de Moura, « Le Socrate du XXème siècle », Han Ryner sans doute a été, un des rares libertaires de l’Occident, surtout si on comprend que, pour très grande qu’ait été son oeuvre, ce qui réconforte, est l’exemple de sa vie harmonieuse et libre. » (10) (p.23.)

     

               Aux environs de 1900 vraisemblablement, Han Ryner notait ces quelques lignes, en vue d’une enquête sur le vote des femmes : « Le suffrage universel est l’expression de l’universelle lâcheté. Au lieu de nous battre, comptons-nous. Ah ! vous êtes un de plus : nous serions inévitablement écrasés. Nous subissons votre loi. » Voilà qui déjà porte ombrage à un collectivisme radical, et rejoint la pensée rynérienne, où s’affirme le néant significatif du suffrage universel qui est: « ... Fils de je ne sais quelle débauche infâme où se mêlent le nombre, la duperie et l’argent. » Han Ryner déjà au début du siècle n’hésitait pas à écrire : « De même que la vraie action sociale ¾ à longue échéance hélas ! ¾ appartient aux révoltés qui ne votent plus. » Pour conclure, il ajoute : « Ils sont 100, et ils font du bruit et de la besogne comme 10.000. »

     

              Voici ce qu’il redira sur le même sujet, vingt ans après (11) : Dans un dialogue plein d’humour, en réponse à la demande d’un vieux copain candidat dans la circonscription, et qui voudrait l’inscrire comme membre du comité : « Je ne suis pas électeur. Je n’habite Paris que depuis trente-cinq ans et je n’ai pas encore eu le temps de me faire inscrire sur les listes électorales. » (12) Ce mauvais citoyen se refuse d’être en carte, et sera traité par le citoyen conscient, de pédant et de chicaneur. Notre Aristote, de répliquer à tant de calembredaines avec autant de logique que d’esprit. Légiférer, juger, pauvre bougre d’électeur mi-glorieux, mi-ridicule, demi-citoyen de seconde zone, bon à tout et surtout « à subir l’arbitraire des lois et des faiseurs de lois », tandis que Diogène, à la recherche d’un homme dans tous ses États modernes, n’éclaire de sa lanterne que « des gueules d’esclaves »

     

              L’individualisme, à le considérer comme Han Ryner, n’est pas loin d’être le couronnement de l’anarchisme. Élargissant cette formule, nous disons que l’anarchie pourrait être le cadre social de l’individualisme libertaire. Cueillons donc tout au long des écrits d’Han Ryner, sans dénaturer sa pensée, ce qu’il dit de mieux pour exalter un personnalisme fraternel. Nous aurons ainsi de quoi nous réjouir anarchiquement de tout ce qui fait espérer des lendemains heureux à tous ceux qui feront effort vers une libération rayonnante de bonté et de sagesse. Oui, Maurice Blanchard, Han Ryner n’appartenait à aucun clan, à aucune coterie, à aucun parti. Mais qui donc a pu vous seriner qu’être anarchiste était d’appartenir à un clan, une coterie, un parti, alors qu’elle ne peut être que sincérité et indépendance, sinon, de cesser d’être anarchiste. C’est à ce titre qu’il me plaît de mêler la pensée d’Han Ryner à l’an-archie.

     

              Une des plus curieuses raisons qu’Han Ryner ait faite à une enquête, est l’opinion qu’il donna au journal le Syndicaliste des PTT, relative à une grève : « On ne poursuivait pas une solution simpliste comme ces augmentations de salaires qui, grâce à l’ingéniosité du vol organisé qu’on appelle aujourd’hui une société, ne sont que des améliorations apparentes. » Han Ryner ne se contente pas de regarder cette hypothétique espérance du salariat qui ne résout pas grand’chose,  après l’esclavage et le servage, puisqu’il subsiste cette nouvelle illusion : gagner son pain. On semble l’avoir perdu de vue aujourd’hui, en s’installant dans le salariat. Depuis des décades, le monde du travail s’efforce de décrocher la lune...   

     

              Avantages corporatifs que supportent souvent les autres corporations par le jeu des fluctuations des prix, petites luttes sans doute rendues indispensables, mais sans lendemains libérateurs, petits résultats très provisoires, parfois dépassés avant la reprise du travail. Il faut préparer d’autres batailles, en engager d’autres avec des objectifs plus positifs, plus passionnants, si l’on veut oeuvrer libertairement. De tout cela, Han Ryner s’était rendu compte, mais il affirmait que l’on doit préparer cette libération avec de sérieux efforts. L’explication jointe à la persuasion peut seule les faire triompher.

     

              Comment demander des sacrifices, si les intéressés ignorent l’idéal vers lequel on les convie ? Pour réussir de telles tentatives qui sont une vraie révolution, pour combattre le mensonge et le bluff de l’adversaire, la stupidité de l’opinion publique même, il faut agir, et Han Ryner entrevoit une grève qui intéresserait directement le pays tout entier. Malgré les fautes et les erreurs, à condition de s’instruire des faits, comprendre, saisir, agir, Han Ryner reste plein d’espoir : « Le prochain combat sera savamment préparé, plus puissamment engagé, plus fortement soutenu, plus efficacement dirigé. »

     

              Ce sont là des écrits d’un homme d’action dont la pensée même, alerte les indécis. Seuls, les rétrogrades n’y trouvent matière libératrice. Han Ryner ne reste pas bouche-bée devant l’action; s’il aime préciser l’effort utile, c’est surtout parce qu’il se refuse d’être dupe. Le voici dissertant sur l’individualisme et le communisme : « Si dans le présent, individualisme et communisme semblent des adversaires, c’est là une des innombrables condamnations du présent. Individualisme et communisme sont les deux pôles de la vérité humaine, nos deux nécessités les plus profondes. Tant qu’on ne sait pas les apaiser, les concilier, les unir, faire de ces ennemis apparents des collaborateurs heureux, l’homme reste chose incomplète, grimaçante et impuissante. » (13)

     

              Han Ryner a précisé dans cette réponse à une enquête : « Syndicalisme et Individualisme », sa façon de concevoir l’équilibre de l’aspect du problème important des rapports entre l’un et tous, l’individu et la société. « Individualisme : vérité essentielle de mon esprit. Communisme : vérité essentielle de mon cœur et de mes mains. Je ne puis penser que par moi-même. Mon cœur cherche la chaleur des autres cœurs. Jalouses et solitaires dans l’œuvre d’art, mes mains, dès qu’il s’agit des besognes pour la vie matérielle, sont désireuses d’aider et de se faire aider.. » Et Han Ryner n’exclut point la vie intellectuelle. L’individualisme qui se complète de communisme, s’il se protège des infiltrations et des banalités; il n’aspire pas moins à faire chair et verbe de sa pensée, « la rendre sensible et intelligible, la donner comme l’arbre donne ses fruits. »

     

               L’individualisme d’Han Ryner ne rejette point le communisme, quoique certains puissent le penser, au contraire. A une enquête ouverte par « L’Idée Libre » sur ce sujet : L’individualisme peut-il se concilier avec le communisme (14), Han Ryner répondit : « Demandez-moi pendant que vous y êtes, si la respiration se peut concilier avec la circulation du sang, la pensée avec le sentiment, l’activité avec le repos. Dans leur expression abstraite, certaines de nos nécessités apparaissent contradictoires; les mots et les définitions creusent, si j’ose dire, des fantômes de fossés; sous le pied vaillant, le terrain reste solide et uni. » Mais il ne faut pas citer en entier cette réponse si concrète, où Han Ryner harmonise les noms querelleurs, les mouvements aux frictions parfois un peu rudes où s’accordent individualisme et communisme en un grand espoir de son âme, dans ce chemin de la terre promise. L’individualisme reste la grande vérité de son esprit.

     

              « Sols, mon esprit, assez farouche pour te refuser à être conquis, pour te refuser à conquérir. Seule une clarté interne peut me faire renoncer à une persuasion. Les autres me ressemblent, si j’ose dire, par ce besoin de différer, par cette indépendance, par ce sentiment que leur évolution est beauté et bonheur. Si leur rythme reste libre que ma vérité ne s’offre donc jamais à un dogme. Puisque je ne connais pas directement les autres, ma vérité, j’ignore si elle est, en quelque mesure, une vérité humaine, même si je lui suppose ce caractère universel, elle n’épanouira ce germe que dans les consciences qui s’allumeront d’elles-mêmes; ce n’est pas le ciel qui éclaire les étoiles; c’est la clarté multiple des étoiles qui fait du ciel une lumière ruisselante. »

     

              Han Ryner, lorsqu’il aborde le communisme précise : « Certain communisme est la vérité de mon cœur; certain communisme, la vérité de mes mains. Le baiser ne doit coûter nul sacrifice ni à ma pensée, ni à la pensée qui veille derrière le front de l’amie. Même s’il n’est que d’une heure, notre rapprochement risque de produire l’enfant qui lui sera commun pour toujours et vers qui se tourneront deux cœurs également maternels, également paternels. » En son rythme, joyeux et libre, Han Ryner décrit quelques arabesques intérieures : « Le communisme sera libération et durable conquête de tous, quand il s’appuiera consciemment sur l’individualisme. L’individualisme ne fleurira de toute sa splendeur que dans une société librement communiste. »

     

              L’Etat, Han Ryner le dénonce d’ailleurs avec tout autant de virulence que les religions; Etat ou Église, le pouvoir aime à s’appuyer sur les autorités; or, les individualistes n’éprouvent pas le besoin de choisir. « Notre ennemi, c’est notre maître, celui de demain ne sera pas meilleur que celui d’hier, alors à quoi bon espérer l’un ou l’autre ? Et pourquoi, vraiment, préférerions-nous aux religions enveloppées d’onction et de jésuitisme, les barbaries rigides ? En quoi le maître nouveau est-il supérieur à la vieille maîtresse ? » Des hommes en redingote, d’autres en soutanes, que m’importe; je ne cherche point et me refuse à justifier leur accoutrement d’esclave laïque ou religieux. Je veux me garder, par delà le bien et le mal, entre l’idole sanglante et le moloch dévorateur.

     

              Pas de vrai Etat, pas de vraie Religion; ces distinguos sont des mensonges éhontés bons à duper les peuples. Han Ryner dénonce comme il se doit, ces amusants souteneurs de l’Etat et de l’Église, car pour lui, il n’y a pas de bons États gouverneurs d’hommes ou administrateurs des choses. « Jadis, il y avait des maîtres d’esclaves « gouverneurs d’hommes » Aujourd’hui, ô joie ! il n’y a plus que des capitalistes, « administrateurs des choses » Ce qui veut dire qu’autrefois on administrait des coups de fouet et qu’aujourd’hui on administre la faim. Ah ! ça, mais est-ce qu’on a jamais conduit les hommes autrement que par les choses créatrices d’espoir et de crainte, de plaisirs et de douleurs ? Est-ce que celui qui est maître des choses n’est pas maître des hommes ? Sauf quelques privilégiés, nous sommes tous attachés à la glèbe ou à l’usine.

     

              Si la glèbe et l’usine ne nus appartiennent point, que nous importe d’être exploités et administrés sous le nom d’esclaves, sous le nom de serfs, sous le nom de salariés ? » (15) Le seul effort utile, Han Ryner l’a précisé; et ceci est important : c’est de rester soi-même et ne jamais oublier qu’une organisation est naturelle. « L’important c’est de savoir qu’une société naturelle n’est possible qu’entre individus, entre uniques, entre hommes assez égoïstes pour que nul ne se sacrifie, assez peu égoïstes, pour que nul ne demande aux autres de se sacrifier. » Jamais l’individu ne doit se laisser endormir, au contraire, pour que le salut puisse se trouver et s’éveiller autour de l’individu et des individus, il faut que les consciences soient suffisamment nombreuses, que cœur et raison s’équilibrent, s’harmonisent, afin qu’il n’y ait ni dupe, ni dupé. « Ce labeur lent est le seul qui donnera, en son temps, des résultats durables. Tout le reste n’est qu’apparence et trompe-l'œil. »

     

              C’est à propos de la libre discipline qu’Han Ryner nous parle de cette belle société si facilement effrayée et répond à cette discipline réfléchie, libre qui selon Jean Jaurès, doit être celle d’une armée dans une démocratie ou république. « Les collectivistes jusqu’ici se défendaient de vouloir nous enfermer en une organisation rigide comme la discipline militaire. Quelle franchise inattendue te fait louer la démocratie d’aujourd’hui parce que déjà école ou usine, elle nous broie, nous pétrit et nous abrutit comme la caserne. J’admire cette hardiesse oratoire qui nous réjouit avec ce que des esprits timides regarderaient peut-être comme nos grandes tristesses... »

     

              Un prêtre jadis à qui F. Jean Desthieux avait conseillé de lire « Les Paraboles Cyniques » lui avait exprimé ce qu’il avait ressenti au commerce avec le prince des conteurs. « Chez lui, l’individualisme domine. Il n’obéit à personne. C’est l’anarchisme intellectuel, attitude philosophique que je respecte, mais qu’il m’est permis de trouver étrange. »

     

              Mais faut-il insisté sur cette préface qu’Han Ryner a donné à la brochure de F. Jolliver Castelot : « L’Idée Communiste » (16) « Car il est absurde de choisir entre le communisme et l’individualisme. Chacun d’eux a besoin de l’autre et la vie véritable marchera sur ses deux jambes. Sacrifier l’un, c’est détruire l’autre. Comme arracher mon cœur de ma poitrine serait supprimer la vie de ma tête. Comme me couper la tête suffirait - et facilement, si j’ose cette plaisanterie facile - à empêcher mon cœur de battre longtemps encore. L’usage établira la souple et changeante harmonie de l’individualisme et du communisme, comme l’usage de mes organes rythme leurs fonctions alternantes. On peut en attendant, rêver cette harmonie de plus d’une façon. » (p. 5)

     

              Un article dans le journal « Notre Voix », du dimanche 29 juin 1919, traitait d’un problème plein d’actualité : « Révolution sans révolutionnaires » Il déclarait : « ... Oui, je connais des camarades qui attendent un peu de bien ou beaucoup de bien d’une révolution même violente. Chers amis, vous repassez vos faucilles quand les semailles ne sont pas faites et vous voulez bâtir avant que des pierres soient extraites de la carrière. Des violences sont possibles, et des meurtres, et une guerre civile et, rouge ou blanche, une période de terreur. Tout un décor sanglant qui, pour les sadiques du pittoresque, s’appelle en bavant « la Révolution » et que ces sadiques approuvent en bloc.

     

              » Mais dites-moi, de grâce, quels résultats sortiraient de ces mouvements chaotiques ? Que résulterait-il de ce que Messieurs les Imbéciles - saluez ! c’est le nombre - appellent l’ordre ?  Que résulterait-il même du triomphe des éléments que nous appelons, non sans étourderie, révolutionnaire ? Nul changement profond et heureux, j’en suis trop certain. Pas de révolution réelle, pas d’ordre nouveau. Pourquoi ? Parce que la catastrophe vers quoi nous marchons sera une révolution sans révolutionnaires. »

     

              Et, dissertant sur l‘histoire des révolutions, hier politiques, aujourd’hui sociales, Han Ryner précise que la question reste mal posée car l’étiquette d’un mouvement n’est pas ce qui importe. «  Les révolutions politiques ont changé de main l’autorité publique et elles ont modifié son nom officiel. Une révolution sociale détruira la propriété de la même façon que les révolutions politiques ont détruit le pouvoir personnel. Le peuple, après cet effort sera propriétaire exactement comme après le quatre efforts politiques, il est « souverain » On parlera par discours et par affiches au glorieux « peuple propriétaire » Nous jouirons d’une fiction de plus.  Nous rirons, si on nous permet de rire, d’un nouveau mensonge. » Alors le distinguo paraît pauvre, sans doute; Liberté, Égalité, Fraternité, est une formule complète et souhaitable. Encore fallait-il qu’il y eût des hommes, un peuple pour la réaliser et en transplanter l’idée dans les faits quotidiens. Mais les ambitieux, les mécontents, quelques révoltés et encore des troupes, des foules, des agités; mais où étaient ceux-là dont l’âme ferme, désirait une amélioration du sort des humains, tant en profondeur qu’en fait ?

     

              Si Han Ryner n’épargne point ni les républicains rapidement dégénérés en radicaux, ni les socialistes si vite adaptés au partage des portefeuilles (il ne cite pas les communistes, non encore en compétition); il ne ménage point « ces anarchistes » sans trop de volonté durable « Prenez garde, une révolution violente, c’est la guerre, occasion de gagner ou d’espérer gagner. C’est corrupteur, une révolution violente autant qu’une guerre. Combien avez-vous d’incorruptibles ? » On peut à longueur de journée discuter sur les révolutions toutes faites, mais encore faut-il que l’on sache ce qu’on en fera. A l’incapacité de la réaliser, s’ajoute celle de la conserver. Qu’espérer de cette incohérence des gouvernés et des gouvernants, de ce troupeau d’imbéciles, aux volontés inertes ? Révolution, mais où est le révolutionnaire, le vrai, s’écrie Han Ryner. «  ... Il faut, refusant la fausse monnaie des lois et des coutumes, des sentiments et des idées qu’enseignent les officiels, et que répète le peuple, se faire une monnaie de vérité et de nature. »

     

              Ceci veut dire que ce qui importe pour qu’une révolution soit durable, c’est qu’elle soit d’abord intérieure. Il faut que la pensée et les sentiments animent le révolutionnaire, car rien ne sert de changer l’aspect des choses, de modifier les gestes, sans que l’effort se porte sur l’individualité. Faites donc en vous votre révolution, pour que la société puisse se transformer, puisqu’elle est, en fin de compte, l’œuvre de l’homme. « Nos socialistes, voire nos anarchistes, sont pour la plupart, tourné vers le dehors et demeurant moralement des hommes peu supérieurs à la moyenne. »

     

              Sans doute la dialectique rynérienne s’inspire d’une philosophie néo-stoïcienne qui lui fait proposer l’attachement du vrai révolutionnaire, plus à l’amour des hommes qu’à l’attachement aux choses extérieures. Cet amour doit être contagieux, pour réussir cette réalisation merveilleuse qu’est une vraie révolution. Mais je n’ignore point que cette réunion de sages n’est guère possible d’ici longtemps. Toutefois, il faut espérer.  « Espérer n’est-ce pas demander aux autres de m’aimer en échange de mon amour ? » Cet amour n’est pas désintéressé, il n’est pas le reflet d’un vrai révolutionnaire qui reste détaché, selon Han Ryner, de tout l’extérieur présent ou futur, voire même de cette naïveté de la conquête et de l’espoir. « Il ne sait si un avenir humain se produira jamais, il est prêt, voilà tout, et si l’avenir humain se réalise un jour, il aura été l’homme de l’avenir. »         

     

                L. Emery a écrit en conclusion d’une étude publiée dans « L’Ecole libératrice » (17) : « L’utopie de Han Ryner s’affranchit de toute contingence économique ou politique. Elle est le rêve du sage pour qui rien ne compte hors la liberté de l’esprit et la générosité du cœur. Elle est une sorte de fable évangélique à la fois adroite et sincère. » Par ailleurs, Han Ryner écrit encore : « Quiconque voit la Révolution dans les brusques secousses et les mouvements collectifs, ne sait rien de la vie humaine; il s’étonnera de constater qu’après quelques oscillations, l’apparente Révolution nous laisse exactement à notre point de départ; il a pris une grande marée pour une conquête définitive de la mer. » (18)

     

               Et dans cette même oeuvre, il poursuit : « Vouloir la Révolution avant l’affranchissement intérieur d’hommes nombreux, c’est vouloir un mouvement sanglant qui avance pour reculer. Le poids des avidités actuelles fait retomber tout élan. La Révolution, avant que nous soyons délivrés de ce poids, c’est - regardez vers la Russie - la famine. Et c’est pour quiconque ne s’est pas affranchi lui même des désirs faciles, la mort et le consentement à plus de servitude et plus meurtrière. »

     

              Dans la « Revue Nationale » Han Ryner, donnant suite à une enquête formulée ainsi : Quelle forme de gouvernement vous paraît le plus apte à assurer l’indépendance des écrivains et le développement d’une littérature nationale ? Han Ryner fut bon prince. Car, à cette forme de maladie à laquelle on le convie de choisir comme apte à assurer notre santé, notre philosophie ne peut que sourire. Comment voulez-vous choisir entre la peste, le choléra, la monarchie, la république ou la dictature du prolétariat ? Ce ne sont que d’éclatantes contradictions auxquelles il est impossible de répondre, en oubliant volontairement les enseignements de l’histoire.

     

              « Un gouvernement est un animal trop rudimentaire, pour songer à autre chose qu’à durer, et à s’étendre, et à grossir et à s’alourdir. Il appelle justice, avec une merveilleuse insouciance, tout ce qui lui sert : injustice, tout ce qui le diminue. Intelligence et indépendance sont nécessairement ses premières ennemies. L’écrivain qui ne consent pas à « servir » la Bête le persécute, Aux heures où elle n’ose l’assassiner judiciairement ou le jeter en prison, elle a des moyens sournois de l’occulter et de le tuer. Elle n’est jamais plus dangereuse que quand elle feint de protége. Ses académies, ses rubans, ses pensions, ses sinécures détournent toute lumière sur les asservis, privant de lecteurs et parfois de pain les indépendants. »

     

              Entre mille maux, Han Ryner choisit le moindre. Au lieu de s’interroger pour savoir si ces gouvernements ordonnent au nom de leur bon plaisir, un code de Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité. « Le gouvernement le moins malfaisant est celui auquel nous nous refusons davantage. » Il ne faut point fortifier la bête mais cesser de la servir, reprendre l’esprit de La Boëtie afin qu’elle tombe au néant (19) Refuser la violence organisée, éviter le plus possible la complicité, ne subir que ce à quoi extérieurement la sottise peut vous contraindre. Mon cœur et ma pensée reste toujours libres par le mépris de la Bête et de ses serviteurs. C’est la seule indépendance que je puisse encore réaliser pleinement.

     

              Et voici encore quelques pensées d’Han Ryner, qui révèlent chez lui tout ce qu’il repoussait dans l’autorité, transplanté ici sur un plan général, et d’où la philosophie reste cependant mêlée indéniablement à ses dires. « L’autorité ne peut se détruire elle-même et devenir libération. Quand elle brise mes vieux fers, c’est elle qui m’a chargé déjà de chaînes plus solides. Dans la fameuse guerre de sécession, Tolstoï remarque que les États du Nord supprimaient l’esclavage classique, parce qu’ils avaient déjà forgé, plus productif, l’esclavage économique; Les États du Sud, en retard dans cette évolution, ne voulaient pas renoncer encore à la vieille forme d’exploitation. Les lois, l’autorité, la force ne combattent jamais, que pour le maintien de l’autorité. » (20)

     

              L’autorité implique la tyrannie. Han Ryner nous le dira en discutant sur « le choix » du tyran. «  Combattre pour le choix des tyrans, c’est combattre pour la tyrannie. Prendre part à un conflit brutal, c’est aider au triomphe de la brutalité. Ni pour les lois anciennes, ni pour les lois nouvelles, ni pour l’autorité d’hier, ni pour celle de ce matin, ni pour celle de demain. Si je deviens l’allié de l’une d‘elles, je deviens un esclave.. Le seul consentement au combat matériel constitue une défaite. Je la limite autant que je le puis en refusant toujours et mon cœur et mon bras à l’un comme à l’autre parti. » (21) Et Han Ryner de conclure : « Consentons aux nécessités naturelles, aux lenteurs inévitables dans toute création qui doit durer. Ne nous livrons pas à l’autorité dès qu’elle a l’audace de se proclamer libératrice. Sachons voir se qui ricane sous le masque des promesses. Ce n’est pas la première fois qu’un mensonge de liberté entraîne les hommes vers les pires servitudes. » (22)

     

              Êtes-vous en faveur du travail volontaire ? lui demandait un jour de mai 1922, la « Revue Anarchiste » Han Ryner répondit : « Au travail de s’organiser lui-même joyeusement, comme s’organise un jeu. Si ce minimum d’organisation ne suffit pas à certaines besognes, ces besognes-là, on les laisse tomber, et l’humanité en est allégée d’autant. La vie du travail libre est chose multiple, souple, changeante. Il ne me plaît guère de le nommer organisation comme tant de réglementation rigides. Un de ses premiers bienfaits sera d’éliminer nombre de besognes ridicules ou répugnantes, nombre de faux besoins, nombre aussi de calculs statistiques, de vérifications et autres calembredaines tyranniquement organisatrices. Ondoiement et dynamisme, la vie est blessée, j’allais dire désorganisée, par les rigidités et les rigueurs statistiques que le plus souvent on appelle organisation. »

     

              Car Han Ryner dira pour ce qui est du travail imposé, qu’il s’en méfie, et il écrira qu’il suppose et nécessite une hiérarchie. Quel que soit le déguisement sous lequel il se présente, patrons, surveillants, commissaires du peuple, bureaucrates, technocrates, il installe des maîtres qui commandent des esclaves. Les mobiles invoqués ne changent rien. Dieu, ordre, prolétariat resteront toujours de bons motifs auxquels on se doit d’obéir. Les maîtres s’installent, commandent et le parasitisme grandit. « Une révolution après laquelle le travail reste imposé a beau se prétendre économique, elle reste politique. Elle change de nom sans toucher aux choses. Elle touche aussi aux personnes, il est vrai. C’est pourquoi elle passionne les ambitieux et les assoiffés de vengeance. Elle modifie quelques statuts personnels, dégrade quelques maîtres, élève au rang de maîtres quelques esclaves d’hier. Abaisser des superbes pour élever et enorgueillir quelques humbles, cette besogne biblique ne m’intéresse point. »

     

              Organisation, peut-être, mais on organisera sournoisement la contrainte pour imposer des besognes dites travail volontaire. « Libérons la vie et regardons avec émerveillement ce que font les gestes libres. Si cette liberté, le premier jour, nous monte à la tête comme une ivresse, tant pis et tant mieux. On s’apaisera le lendemain. » La conclusion d’Han Ryner est pleine de charme. Rieur comme un bon travailleur volontaire et non organisé, il souhaite rire encore, rire toujours, dans la même bonne volonté libre, sans plus.          

     

                Georgette Ryner, sa fille, avait raison de rappeler judicieusement dans un article où elle contait le centenaire d’un stoïcien libertaire, l’homme de cœur qu’il ne cessa d’être en toutes circonstances de sa vie. Sa bonté, il la manifesta non seulement dans ses affections familiales, mais partout et toujours. Qu’on se souvienne de la part active  qu’il prit la défense des opprimés, des proscrits, des objecteurs de conscience, des réfractaires, des anarchistes. Je ne parle point de son affection, qu’il dispensa autour de lui, des conseils plein de sagesse qu’il distribua aimablement. Ne suis-je pas de ceux qui lui doivent une dette éternelle. Chacun se souviendra que si je l’ai avec un certain orgueil, appelé mon père spirituel, lui n »hésita point de  le rappeler aux juges d’un tribunal militaire qui s’acharnaient à me faire condamner.

     

              Mais E. Armand, Gaston Rolland, Sacco et Vanzetti, Ascaso, Durutti, Jover, Müsham, Dieudonné, Acher, P. Vial, Louis Loréal, et j’en oublie, tous furent défendus par son éloquence admirable et sa plume généreuse. Pierre Besnard dans un article du « Combat Syndicaliste » (14 janvier 1938) écrit : « Il n’était pas syndicaliste, ni anarchiste communiste. Il était nettement individualiste. Mais quelle bonne volonté il mettait à nous comprendre, à nous aider, à nous soutenir, notamment à l’occasion de la Révolution espagnole. Il était probablement peuple et l’est resté jusqu’à sa fin. »

     

              Cependant cette conférence d’han Ryner sur Élysée Reclus vient, une fois de plus, confirmer ses vénérations fraternelles pour des pensées analogues à celles qu’il n’a cessé de semer autour de lui. Je me rappelle avec quelle joie j’avais abordé l’étude de ces deux frères de bonne volonté, et la satisfaction sans cesses renouvelée par les heureuses analogies (23) rencontrées dans leur vie et leurs écrits. Han Ryner d’abord à l’École du Propagandiste, en mai 1927, ensuite dans un chapitre de son livre « Crépuscules » nous a donné l’essentiel sur l’esprit noble que fut Élisée Reclus Ils eurent l’un et l’autre cette fortune d’être marqués et catalogués par ces bien-pensants comme des êtres aux idées subversives, donc dangereux pour la société et d’autant plus, que tous deux s’étaient proposé aux d’enseigner aux jeunes ce que peut être la vie, lorsqu’on veut la sculpter avec dignité et amour.

     

              Et voici ce que j’exprimai à mes amis : j’ai trouvé, quant à moi, sur la jeunesse, sur la tolérance, sur la bonté et l’amour, contre les dogmes religieux et sociaux, sur la violence et l’anarchie, non une unité de pensée, mais un pluralisme harmonieux qui m’incline à aimer la beauté de leurs pensées ainsi exposées avec cette ferveur rythmée qui ne peut que grandir l’estime que nous éprouvons pour ces deux penseurs. L’on peut différer en mille points de détail et rester d’accord sur le but à poursuivre. Cette harmonie des contraires marque mieux encore le dévouement et le désintéressement de ces deux écrivains qui n’ont d’égaux que leurs personnalités réalisées qui affirment une sincérité unanime.

     

              Elles cherchent leur vérité dans des voies peut-être différentes en action, mais convergentes vers le même but, vers un idéal de fraternité humaine. Je concluais : ils projettent dans l’avenir avec clarté et fermeté des pensées enlacées pour les mêmes causes. Avec une énergie commune, une même adoration et des espérances identiques, ils chantent, cœurs épris de  beauté, d’indépendance et d’amour, pour des lendemains de paix, et leurs résonances de rêve et d’action affirment l’équilibre parfait de deux génies. Et alors, dites-le moi, toute cette pensée rynérienne, n’est-ce pas toute l’an-archie, toute la généreuse et noble philosophie de cet idéal qui est nôtre ?

     

              J’ai désiré communiquer mon travail : « L’an-archie dans l’œuvre d’Han Ryner » à notre ami Louis Simon, secrétaire général des Amis de Han Ryner, afin de recevoir son avis sur cette étude. Voici en date du 25 février 1962, ce qu’il me répondait : « N’oublie pas, p. 19 du « Petit Manuel Individualiste », ce que H. Ryner dit de l’anarchie, et P. 244 du « Rire du Sage », des réflexions qui vont dans le même sens. Je crois qu’il faudrait que tu tiennes compte de ces réserves, pour être juste. » Soyons juste; voyons donc ces deux citations : « Qu’est-ce que le sage pense de l’anarchie ? Le sage regarde l’anarchie comme une naïveté. Pourquoi . L’anarchiste croit que le gouvernement est la limite de la liberté. IL espère, en détruisant le gouvernement, élargir la liberté. N’a-t-il pas raison ? Non. La vraie limite n’est pas le gouvernement, mais la société. Le gouvernement est un produit social comme un autre. On ne détruit pas un arbre en coupant une de ses branches. » (24)

     

              Ces pensées d’Han Ryner sont exprimées au chapitre IV de son « Petit Manuel Individualiste », où il traite plus particulièrement : « De la Société » après avoir abordé dans les chapitres précédents : « Préparation à l’individualisme pratique » (Chap. II.), « Des relations des individus entre eux » (Chap. III.), qui précisent sa pensée, face au monde dans lequel il s’est vu placé, sans son assentiment formel, et auquel il s’efforce de résister pour affirmer sa personnalité. C’est-à-dire, que pour pratiquer une philosophie, on ne peut se contenter d’une adhésion verbale et de gestes d’adoration, il est indispensable de se libérer des morales d’esclaves.

     

              Han Ryner lui-même ne peut fixer, en tant que sage, des limites à la sagesse. C’est pourquoi, il rejette avec ferveur, les prétendus progrès matériels, le machinisme perfectionné essentiellement anti-humain. Sans doute, me redira le sage, « La société est inévitable comme la mort » Il est indispensable au sage, de détruire le respect et la crainte de la société, au même titre qu’il détruit la crainte de la mort. Indifférent à la forme politique du milieu, Han Ryner épouse cependant celle qui, sous d’autres aspects, s’efforce «  « l’autoriser » de sauver un opprimé, de dénoncer une injustice, car il reste éternellement le sauveteur qui se jette à l’eau pour sauver un noyé. Mais, tous les « candidats noyés » sont-ils à sauver ? Je suis assez sceptique, et je le reste après la lecture du « Petit Manuel Individualiste », pour accepter une affirmation rigide d’Han Ryner, envers l’anarchie.

     

              Pour ma part, je reste convaincu que la pensée d’Han Ryner se rapporte à une certaine anarchie. Il en est peut-être, qui auraient trouvé grâce devant ses rigueurs éthiques, mais ce n’est pas à nous d’en faire le judicieux autant que le subtil démarquage. Voici la page d’Han Ryner dans « La Sagesse qui rit », dans laquelle il disserte sur l’anarchie : « A qui les fréquente, la plupart des anarchistes ne paraissent pas beaucoup plus nobles. Moins de cerveaux et de cœurs, là aussi, que d’appétits insatisfaits. Jugeant leurs idées et non leurs sentiments, le sage remarque que le gouvernement est une élément comme un autre de la société civile, un produit comme un autre de l’appétit de richesse qui transforme les hommes en bêtes rivales. Plusieurs anarchistes, hélas ! ont, eux aussi, voulu la fin jusqu’à vouloir les moyens, essayé de créer l’humanité par des gestes humains, d’établir la douceur à coups de violence. »

     

              Telle est la pensée d’Han Ryner qui se voudrait de condamner l’anarchie; mais de quelle anarchie s’agit-il ? Et Han Ryner poursuit : « Comment l’anarchie se maintiendrait-elle, si la force parvenait à l’établir ? Par la force encore ? Conçoit-on une force organisée sans hiérarchie ? L’anarchie violente ne tarderait pas à devenir une archie. Elle ne serait qu’une tradition sanglante vers quelque dictature. Mais, si elle s’établissait par la douceur et la persuasion, si tout le monde comprenait... Faisons l’éducation de la foule et répandons, anarchiste ou sans épithète, la vérité. »

     

              Han Ryner voit ici des absolus; on ne doit point n’entrevoir qu’une solution de ce genre, mais oeuvrer les uns et les autres vers un relativisme qui rendrait possible une réalisation sociale humaine. Quel est le sage qui se refuserait à aider à la transformation à laquelle lui-même, dans les tristesses du présent, s’efforce de donner suite ? Alors... Tout cela est-il une condamnation ex cathedra de l’anarchie ? Je ne le pense pas. Han Ryner condamne ces anarchies de violence, et il peut préciser son individualisme. Droit  indéniable qui mérite d’être exalté par delà même tout ce qui peut être anarchiste.

     

              S’il ne peut y avoir de limite à ma pensée individualiste ou anarchiste, toutes deux se confondent cependant en une harmonieuse poésie, qui affirme mon individu, sur les chemins d’une réalisation, vers un idéal vraisemblablement jamais atteint. Arrivé à ce point crucial, nos deux interprétations peuvent se confondre en un désir identique, que seule peut différencier notre manière de concevoir et de ressentir les êtres et les choses qui vivent en nous et hors de nous. Alors, il m’importe peu, que nos rêves s’expriment différemment, puisque dans leur harmonie réalisatrice ils se confondent dans nos vies fraternelles et de fraternité.

     

              Han Ryner a donné l’occasion de saisir sa pensée en ce domaine, quand il répond à l’enquête de la « Revue Anarchiste » (25) : « A les laisser assez flottants quant aux dates, tous les espoirs humains deviennent légitimes, toutes les nobles prophéties sont des promesses. Si l’homme dure assez longtemps, chacun de ses rêves est une réalité future. » A quoi bon insister ? J’accepte toutes les subtiles démarcations, et pour en savourer les parfums qui ne cessent de m’enivrer et qui exaltent ma liberté du rêve. Mais, peut-être y a-t-il une équivoque au sujet de l’emploi des mots « an-archie » et « libertaire » Les définitions ne disent point toujours ce qu’il en est.

     

              J’évite de trop peser l’un et l’autre, afin de ne pas les opposer, puisque le partisan de la liberté absolue, n’en reste pas moins un partisan de l’anarchie, selon la généreuse définition du Larousse (26) Subtilité quelque peu fragile, se récrieront certains. Je ne le pense pas, mais j’accorde volontiers, que les deux substantifs peuvent signifier des choses différentes en notre esprit. Alors, si nous laissions ces querelles byzantines, pour n’accepter que la fraternité des termes « an-archie » et « libertaire »

     

              Louis Simon n’hésite point par ailleurs, et à différentes reprises, de parquer du sceau libertaire, les données de la pensée rynérienne, d’abord en qualifiant Han Ryner de stoïcien libertaire et de philosophe libertaire. Voici ce qu’il dit dans « Le Philosophe Libertaire » (27) : « Ce qui nous intéresse au plus haut degré, c’est que sans doute, Han Ryner apporte la plus complète et profonde des philosophies libertaires. » Et, plus loin : « Dès le début de sa démarche, il s’est trouvé devant le principe d’autorité. Il l’a balayé et son esprit en est devenu plus viril et plus fort. Il faudrait comparer longuement des pensées voisines et fraternelles pour montrer avec évidence ce qui apparaît quand on a connu le poids de l’œuvre rynérienne. »

     

              Et toujours du même article : « Mais il sait, en proclamant la solidarité avec les asservis et les esclaves, que toute guerre n’aboutit, au mieux, qu’au triomphe des chefs et de nouveaux maîtres, à une nouvelle organisation de servitude. Il ne se laisse pas glisser à la révolte armée et ouverte, guerre et crime, qui permet la persécution organisée par la Loi. Il sait que l’esclavage demeure, qu’il est, lui, « dans la situation de l’esclave antique » vis-à-vis de l’Etat capitaliste ou socialiste, et se défend de rêver à la Salente où tout est réglé politiquement et économiquement. Il sait que l’homme reste l’homme, et qu’il faut, soi, être Homme. »

     

              Et de conclure : « Son refus du pouvoir et des entraînements de la violence organisée n’est pas un isolement hautain et un abandon, mais une attente autant qu’une attitude nette vis-à-vis des régimes visant à instaurer la justice, il n’a critiqué en eux que leur violence oppressive. Il n’a jamais renié le communisme nécessaire des mains, la fraternité active ¾ aussi bien que le communisme du cœur ¾ l’amour sans frontières. Sa pensée n’est pas un dogme rigide fait d’interdictions et de tabous. Elle est accueil à toutes les bonnes volontés. Mais il voulait réserver farouchement la liberté de l’esprit, la diversité, individuelle, le respect totale de l’être singulier, sa vie psychique. »

     

              Une dernière citation de Han Ryner nous dira tout ce qu’il pense face à la justice infâme... que nous ne cessons de dénoncer. « Ceux qui ne veulent plus le tyran, qu’ils cessent d’avoir des âmes de laquais, des silences de valets, des consentements de soldats et d’esclaves. » (28) Ryner, indépendant, réfractaire, individualiste libertaire, anti-autoritaire, anti-dogmatique, contra la dictature, contre l’Etat, contre le vote, pour le travail libre, an-archiste libertaire et comment donc !

     

    Hem DAY Décembre 1961 - Janvier 1962

             

    (1) Cahiers des Amis de Han Ryner, n° 49, 2ème trim. 1958(2) Reconstitution de son témoignage. Les Vagabonds, août 1922.(3) Gomez de Baquero, membre de l’Académie littéraire espagnole.(4) Editions Estudios de Valencia (1933), traduction due à José Elizalde. 1933.(5) Les Cahiers des Amis de Han Ryner, n° 36, série 1955 (p. 9)(6) Les Cahiers des Amis de Han Ryner, n° 9, série 1955.(7) Paris. Editions La Brochure Mensuelle, n° 168; décembre 1936; 30 pages.(8) « Les Loups », n° de juillet 1913.(9) Edition CENIT. Toulouse 1956.(10) Edition Buenos-Aires. 1946.(11) Munoz, n°51. Les Cahiers des Amis de Han Ryner, décembre 1958.(12) La Rumeur, 31 mars 1928.(13) Il faut que je rapelle ici ce que disait un jour Han Ryner à son ami Manuel Devaldès pour mieux faire comprendre l’évolution de la pensée rynérienne. Voici : « Je ne suis moi-même que depuis 1895 ou 1896. » Cette connaissance de soi à son importance dans ce qu’on est sensé discerner dans l’originalité d’une pensée et d’un style original auquel Han Ryner va parvenir d’étape en étape et s’affirmer davantage.(14) Le Réveil de l’esclave, 1er mai 1923.(15 L’Idée Libre, avril 1924.(16) L’Etat. L ‘Ennemi du Peuple. Direction E. Janvion, 1er 1. 1904.(17) Edition Fédération du Nord du P.S., SFIC Lille Nord.(18)Organe du Syndicat des Instituteurs, juin 1934.(19) Néo-Naturien, novembre 1912. Repris dans Les Cahiers, p. 22, n° 34.(20) Lire dans Les Apparitions d’Ahasverus, le Dialogue avec La Boëtie.(21) (22) (23) Le Réveil de l’Esclave. 1er mars 1923.(24) Les texte de la causerie donnée aux Amis de Han Ryner, à Paris, le 23 octobre 1955, a été reproduit d’abord dans Les Cahiers des Amis de Han Ryner, n° 40, 1er trim. 1956; ensuite il en fut édité un, tiré à part.(25) V. Munoz écrit : « Ce serait trahir sa pensée que de dire que Han Ryner « anarchiste ». Il était avant tout un individualiste « rynérien ». Nous savons tous ce qu’il pensait sur l’anarchie comme idéal de régénération sociale. Pour lui, le mal n’était pas seulement le gouvernement, mais la contrainte sociale, « inévitable comme l<><>


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