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BREF SURVOL DE L'OEUVRE RYNERIENNE par C. Arnoult

Bref survol de l'œuvre rynérienne

L'œuvre de Han Ryner est forte de plus de cinquante ouvrages, livres et brochures. Elle est extrêmement variée quant à la forme. Je tente de donner dans la suite de ce texte un aperçu de cette diversité.

Romans "première manière"

Après deux romans de jeunesse restés inédits, Pauvre petit orgueilleux et Printemps fané, le premier ouvrage paru de Henri Ner s'intitule Chair vaincue (1889). Ces trois textes s'inspirent assez largement d'éléments autobiographiques.

Un deuxième cycle plus sombre et plus "social" s'ouvre avec La Folie de misère (édité en 1895 mais écrit en 1889), inspiré d'un fait divers et dans lequel une mère, étranglée par la misère, finit par étrangler ses enfants. Ce qui meurt (1893) narre les tourments d'un jeune aristocrate dont les enfants s'épuisent et meurent de faiblesse consanguine. Ce livre contient un chapitre composé de petites pièces en prose à la mémoire de l'enfant perdu, délicates miniatures qui constituent le Livre de Pierre, paru en édition indépendante en 1917. Moins triste, L'Humeur inquiète (1894) est l'histoire d'un homme partagé entre deux femmes. Franchement romanesque cette fois, L'Aventurier d'amour raconte les errances amoureuses d'un héros passionné. Ecrit à la même époque que les précédents, ce livre ne paraîtra qu'en 1927.

Ce n'est qu'en 1898 qu'Henri Ner prend le pseudonyme de Han Ryner. Deux ouvrages plus tardifs peuvent cependant se rattacher au cycle précédent. Tous deux, assez hardis pour l'époque, abordent franchement le thème de la sexualité. Le Soupçon (1900) est l'étude clinique d'un cas de jalousie obsessionnelle, et La Fille manquée (1903) s'attache aux difficultés d'un jeune homosexuel.

Les personnages de ces romans ne sont certes pas dénués d'individualité, mais ils semblent complètement pris au piège dans leur position sociale ou leurs liens affectifs. Ner/Ryner les laisse se débattre et les observe à distance.

Cela n'est plus du tous le cas dans les deux "romans individualistes" datant de cet époque : Le Crime d'obéir (écrit en 1895 et paru en 1900) et Le Sphinx rouge (1905). Ryner y crée un nouveau type de héros : l'individualiste réfractaire à l'ordre social qui s'insoucie de l'époque et du milieu pour vivre selon sa conscience, quelqu'en soit le prix.

D'autres romans contemporains

D'autres romans contemporains verront le jour après 1910. Le Père Diogène (1920) rapporte les tribulations comiques d'une sorte de Don Quichotte qui s'essaye à vivre à la manière des cyniques antiques. Amusant lui aussi, La Soutane et la veston (1932) fait le récit d'une conversion croisée au cours de laquelle un abbé et un libre-penseur s'échangeront leurs habits, leurs fonctions, et l'amour d'une femme... Ryner se moque des dogmes, quels qu'ils soient. Dans la lignée de L'Aventurier d'amour, mais avec des traits plus spécifiquement "rynériens", on trouve L'Amour plural (1927), où un Orphée moderne se partage entre de multiples bacchantes, et Prenez-moi tous ! (1932), où les mêmes personnages forment une assez grotesque "Fraternité d'amour", caricature de l'amour libre lorsque l'on prétend l'imposer. L'Orphée mythologique est quant à lui le héros d'une très curieuse "prose érotique" : Les Orgies sur la montagne (1935).

Merveilleux, fantastique, science-fiction et épopée

Mêlant le merveilleux à l'entomologie, L'Homme-Fourmi (1901) est l'histoire d'un homme qui pendant un an se voit métamorphosé en insecte dans la fourmilière qu'il étudiait. Une joli et fort imaginative leçon de relativisme. Touchant à la science-fiction, L'Autodidacte (1926) est la biographie de l'inventeur du "vol orthogonal" - une occasion de s'interroger sur les rapports ambigus de l'homme et de la technique. Les Pacifiques (1914) décrit une utopie non-violente dans une moderne Atlantide : un livre remarquable à une époque où l'action gandhienne n'avait pas encore donné sa pleine mesure. Avec un certain sens de l'"hénaurme", Ryner se laisse aller au délire prophétique dans Les Surhommes (1929), vision d'un lointain futur. Une autre épopée, protohistorique cette fois, reprend le mythe de la Tour de Babel, qui devient La Tour des peuples (1919), ou quand les humains se déchirent au nom de l'Amour et de la Justice. De toutes les époques et par là même intemporel, La Vie éternelle (1924) évoque les réincarnations successives de la bien-aimée du narrateur.

Fictions biographiques ou historiques

Bon nombre de livres de Ryner sont des biographies romancées de personnages historiques. Amant ou tyran (1939) est un journal attribuée à Marie Dorval, amante d'Alfred de Vigny, qui pose le problème de la fidélité et de la jalousie. Vigny est par ailleurs l'objet d'une brochure parue en 1909.

L'Ingénieux hidalgo Miguel Cervantès (1926), comme son nom l'indique, se rapporte au créateur de Don Quichotte.

Han Ryner, comme beaucoup d'autres, s'est intéressé à la figure de Jeanne d'Arc, dans des brochures de critique historique d'une part, et dans deux fictions biographiques : Jeanne d'Arc et sa mère (1950) où il relate son enfance et son adolescence, et La Pucelle au jour le jour (inédit en volume, mais paru dans les Cahiers des Amis de Han Ryner entre 1988 et 1990), journal attribué à Juvénal des Ursins, compagnon d'armes de ladite pucelle. Un autre récit est consacrée à une fausse Jeanne d'Arc, la dame des Armoises : Chère Pucelle de France ! (1930).

Dans un registre un peu différent, Les Grandes fleurs du désert (1963) est une réécriture des Fioretti, faits et gestes édifiants et plus ou moins légendaires de François d'Assise. Après le saint, le Christ lui-même. A la suite des quatre évangélistes, Ryner écrit un Cinquième évangile (1910), où de Jésus, fils de Dieu et fils de l'Homme, il fait avant tout un homme, ni plus, ni moins.

L'antiquité, romaine mais surtout hellénistique, est un sujet d'inspiration important pour Ryner. Il compose ainsi une vie de Pythagore, Le Fils du silence (1911), peut-être le plus ardu de ses ouvrages, et une vie de Dion Chrysostome, Bouche d'Or, patron des pacifistes (1934). Une pièce de théâtre, Le Manœuvre (1931), est consacrée au stoïcien Cléanthe, et un feuilleton, Mon frère l'empereur (paru en 1937 dans "La Patrie humaine") à l'empereur romain Othon. Un inédit, Les Singes qui dansent, est quant à lui construit autour du personnage de Pérégrinus, un cynique dont l'auteur antique Lucien de Samosate a relaté la mort. Une petite synthèse éditée en 1924, L'Individualisme dans l'Antiquité, fait le point sur ce que peuvent avoir d'individualiste, selon Ryner, certains philosophes antiques. Parmi eux : Epictète et Socrate, qu'on retrouve respectivement dans Les Chrétiens et les philosophes (1906) et Les Véritables entretiens de Socrate (1922), qui sont deux livres de dialogues.

Dialogues

Le dialogue est une forme prisée par Ryner . Outre les deux ouvrages précédemment cités, on peut s'en convaincre dans Les Apparitions d'Ahasvérus (1920), où est repris le mythe du Juif errant, et dans les Dialogues de la guerre, écrits durant la première guerre mondiale mais inédits en volume (un certain nombre de ces dialogues ont cependant été publiés dans les Cahiers des Amis de Han Ryner). N'oublions pas le Dialogue du mariage philosophique, opuscule ambigu paru en 1920.

Nouvelles, paraboles et autres contes

La seule distinction littéraire jamais obtenue de son vivant par Ryner est le titre de "Prince des Conteurs". On aura un aperçu de son art en lisant les trois recueils composant une "trilogie de diamant des philosophes" : Songes perdus (1929), Crépuscules (1930) et Dans le mortier (1932), qui racontent respectivement les rêves, la mort et le martyr d'une bonne cinquantaine de personnages de toutes les époques. Dans Les Voyages de Psychodore (1903) et Les Paraboles cyniques (1912), Ryner s'imagine un alter ego, le philosophe cynique Psychodore, héros de petits contes symboliques. Une compilation posthume puise dans ces livres : il s'agit du Florilège de paraboles et de songes (1942). Des textes inédits ou parus dans divers périodiques ont été rassemblés en 1968 dans un recueil de Contes.

Théâtre

Ryner a écrit plusieurs petites pièces de théâtre. Outre Le Manœuvre déjà cité, on lui doit Jusqu'à l'âme, Vive le Roy ! et Les Esclaves (toutes trois éditées en 1910) ; Le Poison (1920) ; La Beauté (1938). Un autre drame, La Vipère, fut représenté en 1918, mais reste inédit.

Poésie

En revanche, on ne trouve qu'un seul recueil de poésie, datant d'ailleurs de l'époque où Han Ryner signait encore du nom de Henri Ner. Il s'agit des Chants du divorce (1892). Ryner a cependant donné à des revues quelques poèmes - dont certains sont en provençal.

Feuilletons et critique littéraire

Ryner a écrit deux feuilletons : Mon frère l'empereur, déjà cité, et Les Mains de Dieu, roman d'aventures moyennâgeuses paru dans l'Humanité en 1917.

Il a par ailleurs tenu la rubrique littéraire de plusieurs périodiques. Mais on doit surtout mentionner Le Massacre des Amazones (1899) et Prostitués (1904). Plus que de simples recueils d'études, il s'agit là de violents pamphlets contre la littérature alimentaire et son corollaire : l'insincérité dans l'écriture.

Œuvres oratoires et brochures

Ryner a prononcé un nombre important de conférences, participé à de nombreuses causeries et débats contradictoires. Ceux qui l'ont connu le décrivent comme bon orateur. Un recueil partiel de ses œuvres oratoires pour la période 1901-1919 est disponible sous le titre Face au public (1947).
D'autres causeries ont été publiées sous forme de brochures, sur des sujets variés : littéraires (Jules Renard ou De l'humorisme à l'art classique (1910) et Un grand humoriste : Claude Tillier (1922)), philosophiques (Contre les dogmes (1903), La philosophie d'Ibsen (1904) Les premiers stoïciens (1906), Les Artisans de l'Avenir (1921), Petite causerie sur la sagesse, suivie d'une Allocution à la jeunesse (1921), Des diverses sortes d'individualisme (1922), Liberté ou déterminisme ( controverse avec A. Lorulot - 1923)), sur des personnalités (Banville d'Hostel (1924), André Ibels (1927), Elisée Reclus (1928))...
Ryner est aussi l'auteur d'une brochure de soutien à Gaston Rolland, objecteur de conscience pendant la guerre (Une conscience pendant la guerre - l'affaire Gaston Rolland, 1923).
N'oublions pas les brochures anticléricales ou rationalistes de l'Idée Libre (souvent des controverses) : Dieu existe-t-il ? (controverse avec l'Abbé Viollet - 1924), La vérité sur Jésus (controverse avec le Dr Couchoud - 1926), La vérité sur le supplice de Jeanne d'Arc (avec André Bourrier et Grillot de Givry - 1925), Jeanne d'Arc fut-elle victime de l'Eglise ? (1927), Credo quia absurdum (1932). Enfin, la conférence Cléricalisme et liberté (1927), parue en brochure, aurait également été gravée sur 78-tours.

Souvenirs

Ryner n'a pas délaissé le genre autobiographique. Deux livres posthumes sont consacrés à ses souvenirs d'enfance et d'adolescence : il s'agit respectivement de J'ai nom Eliacin (1956) et ...Aux orties (1957). Dans Le Sillage parfumé (1958), il fait revivre la mémoire de Jacques Fréhel (pseudonyme littéraire d'Alice Télot), qui fut le grand amour de sa vie. D'autres écrits autobiographiques, qui devaient former un volume intitulé Haussements d'épaules, peuvent être lus dans les Cahiers des Amis de Han Ryner. On peut aussi mentionner un tiré à part des CAHR qui reprend les lettres de Ryner au poète provençal Prosper Estieu (Une Amitié ! Prosper Estieu et Han Ryner, 1957).

Essais divers

Avant de se reconnaître "individualiste", Han Ryner était socialiste. En témoigne un gros volume, écrit en collaboration avec Emile Saint-Lanne : La Paix pour la vie (1892), étude sociologique où les auteurs font quelques propositions politiques, comme le pain gratuit pour tous. Après une petite anthologie parue en 1928 (Les laideurs de la religion), un livre de critique anticléricale fait le point sur les crimes de l'Eglise : L'Eglise devant ses juges (1937). Le Drame d'être deux (1924) est un essai par lettres composé avec Aurel, et s'intéresse aux problèmes de l'amour et du couple. On peut aussi mentionner une petite brochure écrite avec Georges Lanoë sur le peintre Le Marcis (Un artiste ignoré : le peintre Le Marcis, 1901)

Essais philosophiques

Enfin, certains essais sont purement philosophiques. Les Synthèses suprêmes (1925) donne un aperçu de la métaphysique "rêvée" par Ryner. Côté éthique, Le Petit manuel individualiste (1905), Le Subjectivisme (1909) et La Sagesse qui rit (1928) sont des exposés de plus en plus détaillés de la sagesse rynérienne. Il est à noter qu'une suite à La Sagesse qui rit, intitulée Le Rire du sage, n'a été éditée qu'en 1959 (le tirage du Rire du sage, précédé de La Sagesse qui rit a été repris en 1968 sous couverture de relais avec pour titre Un Art de vivre).

Collaborations, réponses à des enquêtes, préfaces, traduction

Outre sa collaboration à de nombreux périodiques, Ryner a apporté son concours à plusieurs ouvrages collectifs, en particulier à la monumentale Encyclopédie Anarchiste (1925-1933), où il signa 23 articles. On trouve aussi sa contribution à quelques livres ou brochures d'enquêtes : Peut-on vivre sans autorité ? (1923), Le communisme et la liberté (1924), mais aussi L'Outrage aux moeurs (Lionel d'Autrec, 1923)... Il préfaça encore une bonne quarantaine d'ouvrages, et rédigea des notices pour la collection "Les meilleurs livres" de chez Fayard. Enfin, il traduisit avec Alphonse Daudet le livre de Batisto Bonnet : Vie d'enfant (1895) et sa suite Le valet de ferme (1898). Il ne fut pas cité dans la préface de ce second ouvrage, ce dont il prit ombrage et se vengea dans une brochure intitulée Un plagiat posthume (1899).
Des livres de Ryner ont été traduits en allemand, en anglais, en italien, en portugais, en roumain, sans doute en bulgare, en tout cas en esperanto et en ido, en japonais même et surtout en espagnol (plus d'une vingtaine de titres).

A ce jour, la bibliographie la plus exhaustive est celle établie par Hem Day dans Han Ryner — Visage d'un centenaire (éd. Pensée et Action). Elle reste cependant à compléter.

C. Arnoult
Dernière mise à jour le 29/04/08

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