lE LIvInG tHEÂtRE
THEÂTRE & REVOLUTION
Quand la révolution viendra, le théâtre de Broadway disparaîtra. Et le théâtre de boulevard parisien et les mensonges du West End londonien et le théâtre pompeux de l’Allemagne de l’Ouest et le théâtre Off-Broadway qui travaillent dans et pour le capitalisme disparaîtront. La révolution est en route. Ses forces sont en train d’être réunies. La puissance réside chez ceux qui refusent d’accepter et le poids et le vide de l’existence que la société actuelle nous offre.
La révolution noire surgit de cette immense manquement, elle proteste non seulement contre la dégradation matérielle - les rats, les taudis, le labeur dégueulasse, l’humiliation psychologique et sociale - mais aussi contre la laideur du monde de l’homme blanc, monde de l’égoïsme, de l’injustice, de l’argent et de l’insensibilité... La laideur d’une société qui utilise n’importe quelle forme de violence insensible pour maintenir son statu quo. Le désir glorieusement inspiré et l’élan de l’esprit sont châtrés et puis emprisonnés dans les coutumes présentes jusqu’à ce qu’ils se détériorent et que l’énergie créatrice soit obligée de se soumettre au pouvoir et à l’argent. Et tout le monde le sait.
Heureusement, la jeunesse peut agir parce qu’elle n’est pas encore trop engagée dans le système pour ne plus pouvoir en sortir, et l’homme noir, lui aussi, peut choisir de ne pas s’intégrer à ce système, pour réussir dans le cadre de la Great White Society, cela ne satisferait pas ses besoins véritables...
Une société qui peut atteindre l’abondance tout en laissant un grand nombre d’hommes mourir de faim est une société qui n’a pas de bon sens; une société qui peut se livrer à la guerre du Vietnam est intolérable pour ceux qui veulent récupérer leurs instincts sacrés; une société qui fonde son abondance sur le labeur de millions d’individus dont l’existence est sacrifiée à la production de biens (laquelle production n’est pas utile mais profitable); une société qui oblige l’esprit à périr pour se protéger contre la pensée (penser étant trop douloureux lorsqu’on doit mener une existence d’esclave insignifiante) ¾ une telle société doit être transformée...
C’est par la quête de l’instinctivité que se manifeste cette révolution dans le théâtre contemporain. Telle était la vision d’Artaud. Le théâtre révolutionnaire de la présente décennies ne s’occupe pas tellement de changer les formes théâtrales, il s’occupe de déverrouiller, de débloquer l’instinctivité que 10 000 ans de civilisation ont refoulé.
Le prix que nous avons dû payer pour notre ordre, notre organisation, nos bonnes manières, notre dignité, notre hiérarchie égyptienne, nos lois romaines, nos esclaves grecs, nos esclaves américains, nos jugements ecclésiastiques, le triomphe du capitalisme et de l’Etat totalitaire - le prix de tout cela est que nous sommes devenus des gens insensibles; Un mode de comportement devait être institué qui minimisât les possibilités de se sentir et qui établit en même temps la souffrance en permanence, car le système basé sur l’argent exige que les hommes souffrent en permanence, soit dans la poursuite de l’argent, soit du manque d’argent, soit de la corruption causée par sa pléthore...
C’est à cause de tout cela qu’Artaud appelle de ses vœux un Théâtre de la Cruauté, pour nous secouer, nous réveiller, pour que nous puissions ouvrir la porte et nous diriger vers la prochaine étape... Le manifeste de l’instinctivité d’Artaud demande une agression des sens et la création d’événements théâtraux cruels dans l’espoir que la cruauté de ces événements puissent atteindre le spectateur dans sa viande, dans les tripes, dans les yeux, dans l’aine, là où il peut sentir quelque chose.
Le théâtre de Broadway et tous ses semblables disparaîtront parce qu’ils apportent leur soutien à un mode de vie intolérable, parce qu’ils sont au service et qu’ils répondent aux besoins moraux et psychologiques de la société actuelle; ils offrent un divertissement qui console et qui anesthésie le spectateur épuisé par la vie quotidienne. D’une manière horrible, de théâtre là, constitue une distraction, il distrait d’une vie qui, bien que plus douloureuse, présente certainement un intérêt plus grand.
C’est en cela que ce théâtre est contre-révolutionnaire. Il aide les gens à vivre une existence qu’ils ne devraient pas être en train de vivre. Voilà pourquoi il doit disparaître. Voilà pourquoi c’est un théâtre de mensonge. Parce qu’il ne répond pas aux véritables besoin de son public désespéré. De toute évidence, aussi, il est motivé par l’argent et seuls les gens qui peuvent en payer le prix d’entrée sont à même de le connaître, comme si le théâtre était la récompense de ceux qui gagnent de l’argent. Les hippies le tiennent pour négligeable et les Noirs des ghettos en ont été économiquement exclus (ils ont subi violemment une éducation qui leur a lavé le cerveau jusqu’à ce qu’ils se croient trop bête pour aller au théâtre; et maintenant, poussés par une rage naturelle, ils veulent le détruire)...
Nous n’avons pas besoin de la sagesse objective de Shakespeare ni de son sens de la tragédie dont l’expérience est réservée aux gens bien nés. Son ignorance de la joie collective le rend inutile à notre époque. Il est important de ne pas se laisser séduire par la poésie. C’est pour cela qu’Artaud nous dit de brûler les textes et d’en finir avec les chefs-d'œuvre. En fait, tout le théâtre de l’intellect disparaîtra. Le théâtre de ce siècle et des siècles passés est un théâtre dont la présentation et l’intérêt sont intellectuels.
Lorsqu’on sort d’une pièce de théâtre contemporaine, on pense, mais notre pensée, conditionnée à un degré incalculable est si corrompue qu’on ne peut plus se fier à elle. Nous ne nous servons de toute façon que de 10% de nos facultés mentales, il faut donc que nous trouvions le moyen d’agrandir le champ de la conscience... L’acteur doit découvrir des formes d’expérience et de comportement qui unissent le corps à l’esprit s’il veut répondre aux besoins du public...
Durant ces trois dernières années que le Living Théâtre a passé en Europe, nous avons trouvé la liberté de nous livrer à certaines recherches. Nous existons en temps que coopérative communautaire. Nos recettes sont partagées de façon égale entre tous les membres de la compagnie, nous sommes trente-deux adultes plus dix enfants; mais nous savons même que s’il n’y avait plus d’argent nous ne nous disparaîtrions pas, parce que nous sommes bien décidés à continuer de travailler ensemble.
Il y a eu des périodes d’extrême pénurie comme des périodes d’abondance pendant lesquelles a pu avoir lieu notre travail créateur. Il importe peu qu’il y ait besoin ou non de l’argent, le travail continue parce qu’il y a la joie dans ce travail. Nous ne voulons pas et par conséquent nous n’avons pas besoin de subvention. L’aide doit venir de l’intérieur.
Nous sommes en train de développer des méthodes de création théâtrale communautaire, nous voulons créer des pièces qui ne soient pas dictées par des auteurs ou des metteurs en scène individuels, mais qui émanent d’un organisme composé de nombreux individus qui permettent à la puissance collective de se libérer en même temps que l’inspiration individuelle.
Nous avons créé deux pièces : Mysteries and Smaller Pieces et Frankenstein, en communauté; de même que la mise en scène de notre version de l’Antigone de Brecht. En tant que directeurs et administrateurs, Judith et moi sommes en train de nous effacer. Nous le faisons délibérément et cela nous coûte un effort. Malgré le fait qu’il y a et qu’il y aura toujours des problèmes, ce procédé nous réjouit.
Aucun des trente-deux membres de la compagnie ne prétend que le Living soit actuellement le paradis, mais la lutte est un des plaisirs de la révolution. Nous rêvons de l’instant où le Living Théâtre s’effacera tandis que la société en évolution créera d’autres formes de théâtre. Un peu de la liberté économique dont le Living Théâtre a joui vient du fait qu’il est plus facile pour nous de trouver un large public en jouant un soir ici ou là ou bien en ne jouant qu’une semaine ou deux dans des capitales telles que Rome, Paris, Vienne ou Amsterdam, que de trouver ce large public toute l’année en New York. Nous ne sommes plus du tout préoccupés par l’obsession de la publicité ni par d’autres moyens de faire venir les gens au théâtre.
Quand retournerons-nous aux États-Unis ? Aussitôt que l’occasion se présentera de nous y rendre. Nous répondons toujours aux invitations. L’expérience européenne a été pour nous très encourageante; il est difficile de savoir pourquoi. Peut-être parce que l’Europe est secrètement affamée de révolution et qu’elle ne sait même pas en parler. Peut-être le public reconnaît-il en nous quelque lueur. Avons-nous connu le succès ? Non. Nous aurons atteint le succès lorsque le public quittera le théâtre pour commencer la révolution, celle d’une société libre.
J’ai voulu écrire honnêtement à propos du Living Théâtre, de sa nature et de son expérience de trois années d’exil en Europe, à propos de choses dont nous discutons entre nous, de ce que nous croyons, de l’orientation qui est la nôtre, de notre vision du monde, de ce que nous essayons de faire. Nous avons constamment le mal du pays, nous n’avons pas perdu notre affection pour nos endroits familiers, nos amis, nos amants. Mais cela nous fait plaisir de traverser fréquemment des frontières, de jouer pour des publics de nationalités variées, de nous rendre compte par nous-mêmes que l’homme n’a pas besoin de nationalité. En finir avec les frontières et les terribles manquements à l’unité, dont les États ou nations sont responsables, car un homme est tout aussi important qu’un autre.
Julian BECK. Paris, août 1967.
cOuP d’OEiL SuR l’AnaRCHiSMe
(Un soir, à Cefallu, au début de mars 1968, Julian Beck fit un exposé sur l’anarchisme. Tout le monde se trouva dans la grande salle qui, enveloppé dans une couverture, qui recroquevillé devant un réchaud de butagaz. La pipe africaine de Julian, au bol de terre cuite et au tuyau de métal, passa d’un auditeur à l’autre. D’une voix exaltée, il prophétisa, puis il répondit aux questions sur ce nouveau monde dont il prévoyait la création. Le texte que nous donnons ici est un résumé approximatif de son prêche inspiré.
Est-ce par hasard qu’au même moment se mettait en marche, en France, un mouvement qui allait conduire à une grève de 9 millions et demi de travailleurs, à la paralysie temporaire de l’Etat et à un réveil révolutionnaire répondant à la plus visionnaire des exigences ? Ce mouvement, en prouvant que TOUT EST POSSIBLE, malgré la contre-révolution permanente, malgré les pronostics des idéologues réformistes de la vieille gauche selon lesquels il ne peut être question de révolution dans un pays industriel avancé, ce mouvement ne démentira pas Julian Beck, au contraire, il le confirmera dans son espoir.)
G
Je pense que la vie telle qu’elle est actuellement demande à être radicalement transformée. Il faut se débarrasser de l’argent. Au point où nous en sommes, une action extrême est devenue nécessaire. Aussi, le rôle de l’artiste est-il de propager cette idée d’action extrême : il faut renverser la vapeur. L’homme a été endoctriné, limité, amoindri, pendant des siècles ¾il demande à être libéré de la pression constante qui l’écrase et dont seule une action extrême peut le libérer. Nous pouvons constamment affaiblir le système de domination et le saper de manière qu’il soit prêt à s’écrouler quand nous lancerons le grand assaut final.
Toujours penser et agir comme si la révolution allait éclater dans l’immédiat ou dans un très proche avenir, j’en fais l’enjeu de ma vie. Le seul reproche que je m’adresse est de ne jamais en faire assez pour que cet objectif soit atteint, de ne jamais aller assez loin dans l’action la plus directe possible. Aujourd’hui, d’après ce que je vois, ce que j’entends et ce que je lis, il y a un puissant mouvement de libertaires qui se développe à travers le monde; ils ne se contentent pas de se retirer de la société, ils sont passés à l’attaque contre elle. Le moment de l’action directe est arrivé. Il ne s’agit plus de se contenter de scier les pieds de cette structure qui nous domine, mais de foncer dedans carrément.
L’idée qui semble faire son chemin est qu’une guerre de guérilla doit commencer (en certains endroits elle a déjà commencé), et elle nécessite la création de cellules en contact les unes avec les autres à travers le monde, selon la notion de Bakounine, de manière à constituer un réseau de coopération, d’information, de production, de distribution d’énergie.
Ainsi, une fois les forces unifiées, ces cellules pourront fonctionner totalement à l’extérieur de la société d’exploitation. Si une masse énorme et puissante de plusieurs millions (ou dizaines de millions) de personnes s’étant organisées ainsi dans un réseau de coopération, étant devenues capables de subvenir à leurs propres besoins, décidaient au moment voulu de rompre avec le système d’exploitation et de cesser d’utiliser l’argent, rien ne pourrait les arrêter. Le système s’écroulerait et les moyens de production tomberaient entre les mains de ceux qui étaient auparavant dirigés et exploités. Les cellules devront être^prêtes à assumer la coordination des changements économiques, sociaux, politiques, culturels, psychologiques, (Attention : il s’agit de coordonner, pas de diriger) Ce sera le grand affrontement.
Ce sera une période de grandes difficultés, mais aussi de grande créativité et de grande illumination pour les individus comme pour les collectivités dont les aptitudes latentes pourront enfin se manifester concrètement.
L’anarchiste a un côté apocalyptique. Il est conscient du fait que si l’action révolutionnaire n’est pas immédiatement entreprise sur une grande échelle, le puissance de domination, d’exploitation et de destruction du capitalisme aura raison de nous. Nous ne pouvons pas compter sur une évolution “dans le bon sens” de la société; la bourgeoisie ne permettra aucune évolution effective autre que celle qui augmentera et améliorera sa domination.
L’évolution “naturelle” des sociétés vers la liberté n’existe pas ou si elle existe, elle est neutralisée par les dirigeants qui en ont peur. Donc l’action indirecte (ou différée) est désormais insuffisante. Ceux qui sont exploités, ceux qui meurent dans les guerres, ceux qui sont les victimes permanentes du système dans l’un ou l’autre de ces aspects, le racisme par exemple, ne peuvent plus attendre. Freedom now, pas dans dix ans.
Seule l’action directe est maintenant efficace, seule l’unification des forces est utile. Il est donc important de commettre des actes comme de protester directement contre les sous-marins atomiques (ainsi que l’a fait Ed Sanders), comme de refuser de servir dans l’armée (ainsi que le font des milliers de déserteurs en ce moment par opposition au gouvernement américain et à la guerre du Vietnam ¾ quoi qu’en disent les défenseurs de l’ordre bourgeois, ce sont des actions exemplaires. Il faut agir maintenant, car nous vivons maintenant.
“Je suis anarchiste. Je veux détruire l’armée. Je veux détruire le gouvernement. J’estime nécessaire de m’opposer à eux et de le leur dire. Je ne veux pas d’une liberté limitée.” L’anarchisme ne reconnaît pas comme sacré le droit à la propriété, il le reconnaît comme un produit de l’exploitation de l’homme par l’homme et, au contraire, il prône la légitimité de l’expropriation. Si des travailleurs occupent les usines, les centres de production et de distribution, et qu’ils les font fonctionner à leur propre profit, et à celui des autres, ils arracheront l’économie des mains des patrons (lesquels appelleront au secours leurs assistants : la police et l‘armée)
N’empêche que le problème est là et qu’il va falloir le résoudre. La solution anarchiste : l’autogestion. Comment restaurer l’économie ? Comment apporter les pommes à la ville ? Qui fera quoi ? Qui s’occupera de l’électricité ? Qui s’occupera des transports ? Qui s’occupera des enfants ? Les cellules devront prévoir cela. Même les anarchistes religieux comme Gandhi ou Martin Buber pensent qu’il faut restructurer la société de fond en comble pour permettre un maximum de liberté (alors qu’aujourd’hui on nous en accorde un minimum).
La pensée anarchiste a beaucoup influencé Marx, qui s’est inspiré de saint Simon, Owen, Fourier et surtout Proudhon, bien qu’un terrible conflit l’ait opposé à Bakounine par la suite. Il y a même des “anarchistes catholiques” en Amérique (leur journal est le Catholic Worker) ils sont très actifs et très critiques envers les aspects économiques et autoritaires de l’Église. Depuis les Diggers en Angleterre, à l’époque de Cromwell, jusqu’en 1936, en Catalogne, il y a eu des anarchistes qui ont réussi à éliminer l’exploitation et l’argent.
Le société anarchiste remplacera la “loi du plus fort” par la solidarité et l’entraide (mais une entraide réelle, pas une aumône symbolique comme celle que l’Etat fait aux pauvres) La société anarchiste remplacera la répression et la dictature par l’exercice de la liberté à tous les niveaux, depuis la manière non punitive d’élever les enfants jusqu’à la manière non policière de résoudre les problèmes sociaux. Notre travail, actuellement, est donc un travail de propagande et de préparation révolutionnaire; propager l’idée et unir les forces.
Julian Beck.
AuTOBiOgrAPHiE
(Fragments)
Si vous voulez voir ce qui se passe, il faut être fou, il faut être capable d’affronter l’horreur.
Nous allions tout le temps au théâtre. C’était intéressant et enrageant. Deux, trois ou quatre fois par semaine. La saturation a peut-être fait son effet. Ainsi, en 1947, à vingt et un ans, Judith savait qu’elle ne voulait pas travailler dans ce théâtre-là. Moi, j’étais encore attaché à la peinture à cette époque., et cela pris six mois pour que je me mette dans le coup. Nous nous sommes dit que nous ferions un théâtre qui serait autre chose. Maintenant, quinze ans plus tard, nous savons que nous ne l’avons pas fait. Nous pensions aussi que le théâtre avait une sorte de retard sociologique.
Nous visitions les musées, nous lisions Joyce, Pound, Breton, Lorca, Proust, Pantchen, Goodman, Cummings, Stein, Rilke, und so weiter. 1944 : Pollock, Motherwell et Basiotes, Rothko et De Kooning exposaient à la galerie Peggy Guggenheim (à New York) et tout ça impliquait une vie dont le théâtre ignorait l’existence, un niveau de conscience et d’inconscience , une hauteur et une profondeur, qui se manifestaient rarement sur la scène du Booth Theatre.
Nous lisions Eschyle, Ibsen et Webster, et ils nous dirent qu’il pouvait exister autre chose sur scène, bien que nous ne l’ayons pas encore démontré. Judith étudia avec Piscator, qui savait que la politique et l’action sociale constituaient les moyens les plus efficaces de tenir au public un langage rarement proféré au théâtre. Piscator raconta a Judith que pendant la Première Guerre mondiale, il s’était trouvé dans une tranchée avec un type qu’il ne connaissait pas et qui lui avait demandé ce qu’il faisait dans la vie quand il n’était pas dans une tranchée. Piscator lui avait répondu qu’il était acteur, et il ajouta qu’en lui disant cela, il s’était senti grand comme ça : un centimètre entre le pouce et l’index. Ce jour-là, Judith décida de faire de la mise en scène et de ne pas être seulement actrice.
Nous discutions de l’anarchisme, du marxisme, de la démocratie de Platon ou de la démocratie fédérale, des rêves de Freud, des discussions de jeunesse, et nous nous promenions le long des palissades sur la rivière Hudson, et nous allions souvent à Jones Beach, beauté de la plage. Insatisfaction de tout. Satisfaction avec n’importe quoi. Toutes deux difficiles à atteindre. Une bonne miche de pain, communication, et un moment non pollué.
Satisfaction de multiples possibilités. Une prise de conscience, peut-être la plus profonde, que 1946 n’était pas le Zénith des accomplissements humains et que néanmoins 1946 contenait de façon dispersée tout ce que le monde aurait jamais de glorieux. Le problème de trouver, de ré-assembler, d’assortir la matière, sentir et être. Un théâtre pour cela... Votre main qui porte la tasse de café familière à vos lèvres est plus qu’un éclat de vermillon dans le ciel; je veux dire par là que quoi que vous fassiez, cela sera toujours plus important que tout votre artifice théâtral.
Quand nous avons rendu visite à Robert Edmond Jones en 1947 pour lui parler de notre projet d’un nouveau théâtre, cela l’excita beaucoup et il nous demanda de revenir le voir. En y retournant, je lui soumis nos projets scéniques et nous parlâmes beaucoup. Il avait l’air très triste et je lui en demandai la raison. D’abord, répondit-il, j’ai pensée que vous aviez trouvé les réponses, que vous alliez créer vraiment un théâtre nouveau, mais je vois que vous posez seulement les questions. Combien d’argent avez-vous ? 6 000 dollars, répondis-je. C’est dommage, reprit-il, j’aurais souhaité que vous n’ayez pas d’argent du tout, et alors vous auriez peut-être pu créer votre nouveau théâtre, le fabriquer avec de la ficelle et des vieux coussins, faire vos représentations dans des ateliers ou des appartements.
Laissez tomber les grands théâtres à entrée payante ¾ il ne s’y passe rien, rien ne peut s’y passer qui ne soit infime et il n’en sortira jamais rien. Tenez, si vous voulez, prenez cette pièce-ci, nous dit-il en nous offrant son atelier, si vous voulez commencez ici, allez-y. Mais nous étions jeunes - c’est là notre excuse - et ce n’est que quatre ans plus tard, alors que nous n’avions pu trouver un théâtre où travailler, que nous décidâmes de monter quelques pièces dans notre appartement, sans faire payer l’entrée et sans dépenses d’argent. R. E. Jones avait raison, cela a très bien marché.
Cependant, nous n’avions pas encore profondément assimilé cette leçon. C’est pourquoi nous avons joué dans des théâtres qui font de la publicité commerciale, qui exigent un prix d’entrée, qui payent des impôts, comme si tout cela était nécessaire... à la “gloire”, peut-être. Chute dans le piège. En reconnaissant que nous y sommes tombés, nous commençons au moins à chercher la stratégie propre à nous en faire sortir.
... Que Malraux ou Frost se soient vendus et mis au service de l’Etat en prétextant qu’ils voulaient populariser l’art national et conférer à l’art le prestige de l’approbation officielle, est une erreur incompatible avec la pensée artistique. L’Etat en vérité ne cherche pas à amener l’art au peuple ni à rendre l’art plus accessible. L’Etat cherche à utiliser l’art pour redorer son blason.
Que se passe-t-il vraiment lorsque tous ces gens sont invités à la Maison-Blanche ou au palais de l’Élysée; où l’on donne le nom de Claudel à un homard ? Il se passe que l’art est subtilisé châtré, travesti, embaumé, couvert de chocolat et servi sur un plateau d’argent. L’Espagne veut maintenant leurrer les touristes avec les peintures de ses “grands artistes” dont Picasso - mais pas le Picasso de Guernica ou le Picasso de Songes et Mensonges de Franco, ni le corps de son travail ou celui de Lorca.
... Vous ne pouvez pas collectionner des tableaux de De Kooning et construire des abris antiatomiques.
.... Vous ne pouvez pas approuver Evtouchenko et stocker des bombes atomiques.
... Le théâtre qui accepte l’aide d’une société qui s’oppose opiniâtrement à tout changement est le théâtre des vendus, des collabos, des renégats opérant de manière à consolider un système qui est pourri; le malade agonise et nous appliquons du sparadrap sur un bouton; il sera beaucoup plus toléré jusqu’au jour où plus rien ne sera toléré et au théâtre nous approchons de ce moment-là. Sur scène tout est devenu intolérable et quelque chose d’autre doit arriver.
JULIAN BECK (Autobiography, 1962, in: ICA Magazine - Londres)
NEW YORK - DANS UNE PRISON FEDERALE
Questions, ampoules électriques, la presse
Une bande d’amis, un rapide coup d’œil
A Garry, les larmes de ma mère,
Une rapide conversation avec les avocats,
Et maintenant la première cellule,
Après le dernier baiser.
Il est dans la cellule voisine,
mais bientôt la brèche l’élargira.
Maintenant, les longues journées commencent.
Ca ne devient vraiment jamais pire que ceci.
Seulement plus long.
Une fille dont le mari a falsifié les chèques;
amère résignée, de bon caractère;
Une plus vieille qui pleure.
De Colombie, arrêtée pour entrée illégale.
Une blatte.
Judith Malina.15 décembre 1964
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IntErvIEw dE jOHn cAGe
M. Kirby - Quelle est votre définition du théâtre ?
J. Cage - J’essaie de donner des définitions qui n’excluent rien. Je voudrais dire simplement que le théâtre est quelque chose qui engage à la fois l’œil et l’oreille. Les deux sens du public sont la vue et l’ouïe. Le goût, le toucher et l’odorat sont des sens plus intimes. Si je veux donner une définition si simple, c’est pour la raison que je voudrais que l’on puisse considérer la vie de tous les jours comme du théâtre.
R. Shechner - Un concert est-il une activité théâtrale ?
J. Cage - Oui, même un morceau conventionnel joué par un orchestre symphonique conventionnel : un joueur de cor, par exemple, de temps en temps, vide son instrument de la salive qu’il contient. Et ceci, fréquemment, capte davantage mon attention que les mélodies, harmonies, etc.
M. Kirby - Vous avez dit une fois : “J’essaie de faire en sorte que les gens se rendent compte qu’ils dont eux-mêmes leur expérience et qu’ils ne la reçoivent pas toute faite.” Est-ce que tout art n’est pas subi ?
J. Cage - C’était ainsi, mais je pense que nous sommes en train de changer cela. Quand vous avez la scène, et l’assistance rangée de telle manière que tous regardent dans la même direction - au point que ceux qui se trouvent à l’extrême gauche et à l’extrême droite sont dits occuper de “mauvaises places” et ceux du centre de “bonnes places” ¾, ils ne peuvent voir que s’ils regardent dans la même direction. Mais notre présentation aujourd’hui, n’est pas aussi concentré en un point. Nous vivons, et nous en sommes de plus en plus conscients, dans l’espace autour de nous. Les développements actuels du théâtre sont en train de détourner l’architecture de sa conception de la Renaissance vers quelque chose d’autre en relation avec nos vies. C’est le cas avec le théâtre en rond. Mais cela ne m’a jamais semblé un changement véritable par rapport à la scène, parce que c’est encore concentrer l’attention du public, et le seul changement est que certaines personnes voient un côté des choses et d’autres le verso.
(In Fulane Drama Review)
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lA soCIéTé cAPItaLIstE & lA moRT
“Les Anglais, qu’ils soient travaillistes ou conservateurs, gardent au cœur une plaie qui s’appelle la Rhodésie. Cette plaie s’est rouverte, vendredi, malgré la grâce accordée par la reine, le gouvernement du M. Ian Smith a décidé l’exécution de trois rebelles noirs, puis de deux autres.”
Ce n’est pas l’interview de M. Ted Milton publiée par le Sunday Mirror qui va faire changer les Anglais d’avis. M. Milton est, en effet, l’exécuteur rhodésien des hautes oeuvres. Et malgré l’humour qu’on lui prête, les Britanniques, déjà sensibilisés par des exécutions qu’ils réprouvaient, ne sont pas prêt de pardonner à M. Milton ses macabres plaisanteries. Né à Cardiff, M. Milton est en Rhodésie depuis quinze ans.
On l’a surnommé “le bourreau souriant.” Jusqu’à présent, il a pendu 332 personnes; mais, avec les 115 actuellement condamnées à mort, il pense que son record approchera les 500 avant la fin de l’année. Il ne sera pas pressé par le temps, car il peut, dit-il, pendre trois condamnés à l’heure. Cela ne lui ferait ni chaud ni froid : “Je ne ressens absolument rien envers les gens que je pends”, a-t-il dit au Sunday Mirror.
Cette indifférence lui est venue pendant le débarquement de Normandie, où il a vu beaucoup de gens mourir. De cette période de guerre, il lui reste en outre cette réflexion qu’il ressort fréquemment : “J’ai 54 ans, mais en réalité 48 parce que j’ai perdu six ans à la guerre.” M. Milton travail pour l’amour de l’art, car, semble-t-il, sa profession n’est pas rentable. Quand il travaillait pour les protectorats britanniques, cela lui rapportait, pour chaque pendaison, 600 francs.
Maintenant, ses honoraires seraient plus bas : “A peine assez d’argent pour acheter une vielle corde.” Une satisfaction quand même. Les trois africains qu’il a pendu sont morts en même temps : le gibet de Salisbury permet, en effet, six exécutions groupées. Ce qui n’empêche pas M. Milton d’envier le bourreau du royaume parlementaire voisin du Lesotho. La capitale de cet Etat noir, Maseru, possède en effet un gibet où l’on peut pendre douze personnes à la fois. (Paris Presse)
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Nashville, Tennessee
Le député démocrate Charles Galbraith a proposé une loi, devant le Parlement de l’Etat de Tennessee qui ordonnerait que toutes les exécutions pratiquées dans le Tennessee soient télévisées. Cette loi ordonnerait aussi que le profit provenant de cette émission télévisée aille à la famille de la victime du crime. Le député Galbraith, un vieil adversaire de la peine capitale, a déclaré qu’il était logique de filmer les exécutions pour la télévision, étant donné que la perpétration de la peine capitale par une société civilisée était sa valeur d’exemple. (International Herald Tribune)
Annapolis, Maryland
“J’ai honte d’avouer que j’ai pendu quatre hommes. La clameur publique était telle que je lui ai cédé. Que Dieu me pardonne ! Je n’avais pas la force de caractère pour faire ce que j’aurais dû faire. Il n’y a aucune preuve que l’exécution d’un assassin en ait jamais empêché un autre de commettre un crime semblable. La peine capitale est un acte irrémédiable, qui ne peut jamais être corrigé.” L’auteur de cette déclaration était un personnage ému de 67 ans, ex-gouverneur de l’Etat de Maryland et maire de Baltimore, Théodore R. McKeldin. (International Herald Tribune)
Khe Sanh
Le colonel David Lownds, commandant de la base de Khe Sanh, a prédit que les Nord-Vietnamiens attaqueront cette base bientôt, “parce qu’ils se sont engagés trop avant pour ne pas faire cette grande poussée”... Le tir de mortier, léger mais régulier, des Nord-Vietnamiens a détruit toute construction à la surface du sol, et il est en train de réduire en miettes toute la famille.
Chaque homme a maintenant un trou où il passe tout le temps qu’il ne lui est pas nécessaire de passer à la surface. Dès qu’un avion se montre au terrain d’atterrissage, chacun plonger vers son trou, car tout atterrissage provoque immanquablement un bombardement de mortier à l’intérieur de la base.
La plupart de leurs abris sont en ruine et misérables : des trous où ils dorment recroquevillés et transis de froid, au milieu des boites de conserve, de munitions et de sacs pas encore remplis de sable. Une poignée d’hommes à Khe Sanh évoluent dans un grand luxe relatif, tels ces ingénieurs du génie de la marine qui prirent la peine de se construire de confortables appartements souterrains à l’automne dernier.
Juste à quelques pas du danger de la rampe de chargement où tombent la plupart des obus, la musique du dernier orchestre de Rock monte à la surface, en provenance du bunkers des ingénieurs de la marine. Au pied de l’escalier, un sous-officier est paisiblement en train de raser la tête d’un marine. Dehors, es rockets font entendre leur sifflement avant de tomber sur la piste où descend un brouillard froid. (The Times, Londres)
Saigon
Cinquante tonnes de bombes ont été lâchées par erreur en dehors de la zone-cible, près de Saigon, par la U.S. Air Force. Des bombardiers B 59 ont tué de 42 à 44 personnes et en ont blessé de 57 à 59, mardi, a déclaré aujourd’hui un porte-parole de la U.S. Air Force. La zone-cible était à dix miles et demi au Nord-Ouest de la capitale, le long de la rivière de Saigon. La région a une très dense population. (International Herald Tribune)
Hanoi
Ce qui domine l’esprit, c’est l’étonnement devant l’atrocité déployée par les Américains en guerre. Le napalm, par exemple, quel triomphe de la souffrance scientifiquement administrée ! Un des témoins en offre comme preuve un des fragments de bombe au napalm qui a déjà explosé.
Il en détache une minuscule écharde, la pose dans un cendrier et l’allume. Elle brûle férocement pendant dix minutes. Le cerveau recule, la chair se dérobe à la pensée d’un contact avec ce produit du savoir occidental, d’une exquise expérimentation. (Sans mentionner d’autres merveilles de la science, telles que les “sept agents chimiques” - trois d’entre eux sont des gaz potentiellement mortels - dont les États-Unis viennent d’autoriser l’usage au Vietnam. Ceux-ci, de même que les documents sur les armes bactériologiques, seront discutés dans les prochaines séances du Tribunal.
Le matin du quatrième jour, les preuves humaines sont rendues publiques. Les cameramen accourent, des lampes à arc inondent la scène et nous dévisageons avidement, avec le sentiment d’être des monstres, une jolie fille en bleu, un petit garçon serein et deux hommes impassibles vêtus de costumes de ville sombres et mal ajustés. Il s’agit des premières victimes vietnamiennes des bombardements américains qui aient jamais été vues en dehors de leur pays. (A partir de cet instant, j’aurai voulu que vous soyez-là : les récits de seconde main sont d’excellents coussins contre la culpabilité)
Les hommes sont originaires du Sud. Thaï Binh Dan, 18 ans, est un paysan qui fut atteint par du napalm le 21 mai 1966 : il souffre de blessures permanentes au visage, aux bras, aux mains et aux jambes. Hoang Tan Hun est un cultivateur de riz âgé de 45 ans; il fut atteint par une bombe au phosphore au cours du même mois. Son oreille gauche a disparu. Il ne peut bouger la tête, et son bras gauche est collé à son corps. La jeune fille et le garçon sont des Vietnamiens du Nord. Ngo Thi Ga a 23 ans, et est maîtresse d’école dans un village de 500 foyers.
La nuit du 22 octobre 1966, elle dormait dans sa salle de classe avec 15 de ses élèves quand tombèrent les bombes américaines. Elle ressentit une douleur violente derrière la nuque, mais mit autant d’enfants qu’elle put à l’abri avant de s’évanouir. Elle se réveilla à l’hôpital. “Ma tête me faisait très mal, je ne pouvais pas dormir, je vomissais tout. Deux des enfants étaient morts. Le diagnostic confirma que j’avais une bille de métal dans la tête.” Elle y est toujours logée. Sa vue baisse et elle souffre de migraines paralysantes.
Un docteur français a témoigné que le mal dont elle est atteinte à la tête est incurable. Il n’y a pas de cible militaire ¾ pas d’usine, pas de centre énergétique, pas de chemin de fer, pas de route principale, pas même un pont ¾ dans un rayon de vingt kilomètres autour de son village, et jamais aucune troupe de soldats n’y a stationné.
Ken Tynan. (“Au sujet du Tribunal Russel”)
tHéÂtRe dE gUeRiLLa
Le 21 novembre, à 18h30, dans un vaste marché en plein air de Stockholm, les passants furent surpris d’assister à une bataille entre deux groupes de personnes (de 25 chacun) - des “communistes” portant des brassards rouges et des “capitalistes” portant des brassards bleus. Ils avançaient l’un vers l’autre, les bleus : “A bas le communisme !”, et les rouges : “A bas le capitalisme !”
Chaque groupe portait avec lui une grosse “bombe” couleur argent et, à un moment donné, les bombes furent lancées vers “l’armée” opposée. On entendit de la musique. Roland Von Malmborg chanta une version suédoise des Maîtres de la guerre de Bob Dylan - et une fille de 18 ans, habillée en deuil, vint poser une couronne aux pieds des massacrés, sur laquelle était écrit : “Pour ceux qui sont morts à la guerre atomique.”
Après quelques minutes, les “morts” furent relevés par la police qui venait disperser ce rassemblement illégal, mais qui arrivait trop tard - la bataille était terminé. Celle-ci avait été montée avec succès par Provie, un nouveau groupe de Stockholm, prenant modèle sur les provos d’Amsterdam. Ce fut leur premier happening ¾ un rappel bien à propos de la guerre froide.
... Étendus morts, nous apercevions un grand cercle de gens tout autour de nous, éclairés de temps en temps par les flashs des appareils à photo. La police parut plutôt déroutée quand nous dîmes qu’aucun en particulier n’avait organisé la manifestation ¾ un “communiste” étendu autour de moi lui raconta qu’elle était organisée par Kossyguine et Johnson. Une fois tout cela terminé, plusieurs discussions et conversations s’engagèrent entre les manifestants et le public qui restait là, curieux de voir ce dont il s’agissait. Pour une fois, il nous sembla avoir pris contact avec les gens d’une manière qui n’est pas possible lors des manifestations ou des meetings publics.
Kay Oscars son.
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Les étudiants de l’université d’Iowa manifestèrent quatre jours, début novembre 1967, contre le recrutement de “marines” à l’intérieur de l’université. Une procession funèbre en bonne et due forme (une bière portée par ces étudiants, suivie de pleureuses) amena les manifestants jusqu’à la résidence du doyen. Là, le mort habillé en soldat s’est réveillé pour s’écrier, mécontent, que lui et ses camarades tués au Vietnam ne pouvaient dormir en paix, faisant allusion à la tuerie continue. Du sang récolté parmi les étudiants fut répandu sur les marches et se voulait être la dernière effusion. Une pétition fut signée du sang des manifestants.
Le 16 septembre 1967, des rues de New York furent parcourues par une centaine de jeunes gens vociférant à profusion, appelant à la haine et à la tuerie : “Mort immédiate, tuez-les tous, c’est dans la tradition américaine !”, “Libérez les nations opprimées en les bombardant !”, “Massacrez les Vietnamiens, ils ne sont pas comme nous !” Des pancartes portaient : “Tuez, brûlez les enfants !”, “Écorchez vivants les Asiatiques !”, “Invitez un nazi à déjeuner !”, “Vive la brutalité policière pour les Noirs !”, “Émasculez les pacifistes... et les sénateurs !”
C’était des pacifistes stigmatisant l’hystérie fascisante par un procédé homéopathique. Les passants qui, généralement, au cours de manifestations, s’approchent, curieux ou ironiques, lancent des plaisanteries ou répondent aux cris des manifestants, gardaient cette fois un silence atterré.
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Le pROCèS dE jUdiTH mAlinA & juLIAn bECk
... Les différents impôts et pénalités dus par le Living Theatre au gouvernement s’élevaient, au moment où le théâtre fut saisi par l’Internal Revenue Service, à 28. 435 dollars et 10 cents... Robin Brustein suggéra dans les colonnes de The New Republic qu’un complot ourdi à un haut échelon gouvernemental - dû a contenu antimilitariste de The Brig - avait provoqué la fermeture du théâtre. D’autres y voient un rapport avec les activités pacifistes et anarchistes des Beck.
Ils ont été mis en prison à plusieurs reprises en tant qu’organisateurs de la Grève Générale pour la Paix et aussi pour désobéissance civile pendant les manifestations contre les manœuvres annuelles de “défense civile” qui se tenaient jadis aux États-Unis... Le juge Palmieri, en prononçant la sentence, décrivit ainsi les agissements des Beck alors qu’ils résistaient à la fermeture du théâtre: “Défi à l’autorité du gouvernement.” Il ajouta : “Le gouvernement ne peut tolérer que l’on répudie son autorité... Notre société est fondée sur l’obéissance civile..”
Il s’avère que le seul recours qui s’offre désormais aux Beck, en tant qu’individus américains, est de s’exiler. Ce sont des ambassadeurs dont nous devrions être fiers, mais s’ils rentrent chez eux, ils seront incarcérés comme criminels. (Michael Smith, in : Encore, 1964)
Extrait de la péroraison de Judith Malina devant le Tribunal Fédéral où, de même que Julian Beck, elle assuma sa propre défense :
“La rigidité de la loi, la répugnance de la loi devant tout changement ou devant tout sentiment humain, cela me semble être le point crucial où commence la tyrannie...”
“Nous vous avons raconté comment nous avions construit ce théâtre, comment j’avais fabriqué de mes propres mains cette scène d’où je fus arrachée ce soir-là. Quand nous parlons d’avoir construit nous-mêmes ce théâtre, ça ne veut pas dire que nous avons travaillé avec un entrepreneur. Nous avons fourni le travail et aimions ce travail, et voilà qu’il disparaissait et que tout était terminé...” (Judith Malina, in : Encore, 1964)
Le LIVING THEATRE est un de ces théâtres américains qui, dans les années soixante, met en scène une nouvelle sensibilité, un nouveau jeu, une conception nouvelle de l’artiste et de la relation acteur-spectateur.
Il est fondé par Julian Beck et Judith Malina en 1951 à New York et survécu jusqu’en 1970. La première représentation a lieu chez Malina et Beck; le Living se produit ensuite au Cherry Lane, puis dans un grenier de 75 places, et enfin au Fourteenth South, un théâtre de 162 places. Le prix des places est libre. Le Living a bien sûr des problèmes financiers : le public va plus volontiers à Broadway où les places sont plus chères et où il fait bon se faire voir ! Mais les acteurs du Living ne veulent pas faire carrière et sont dans une logique de non-profit.
Le Living adopte d’abord des pièces de Brecht, Genet et de jeunes auteurs américains : THE CONNECTION de Jack Gelber est joué en 1959, “histoire” d’un groupe de toxicomanes qui joue l’attente du produit dans les veines. Cette pièce met l’accent sur l’ambiguïté réalité/fiction (ambiguïté du théâtre) et sur le fait que la vie des drogués n’est ni plus blâmable ni meilleure que la nôtre, mais qu’elle est bien une réalité et une souffrance. Dès cette pièce, les acteurs ne s’identifient pas à un personnage et se présentent dans leurs vêtements de tous les jours (ou nus), ce qui élimine les barrières vie/théâtre, acteurs/spectateurs
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Des changements s’opèrent peu à peu dans le Living. La troupe est de plus en plus collective : les comédiens vivent ensemble, leurs pièces se créent au fur et à mesure de discussions de groupe où chacun apporte ses idées. Les éléments plastiques et musicaux sont choisis en fonction du jeu des acteurs. Le jeu se compose d’improvisations et la création est collective.
Le théâtre avec eux n’est plus l’image de la réalité mais il se veut libérateur des peurs, des frustrations... Cette vision s’inspire du THEÂTRE ET SON DOUBLE de Antonin Artaud : il faut arrêter de séparer intelligence/instinct, art/vie; l’héritage culturel passé ne correspond plus à notre vie. Le jeu s’adresse donc à l’intellect ¾ par les mots ¾ et à la sensibilité - par les cris, la respiration - Le spectateur est ainsi entièrement pénétré. La fonction de l’art et de l’artiste, du théâtre, est remise en cause : “Une des fonctions de l’art est de révéler, tandis que les forces destructrices de la société nous éloignent et nous séparent de nous-mêmes.
L’art nous fournit des informations sur ce qui est caché, sur les forces créatrices que la société veut rendre inutilisables parce que leur utilisation constitue une libération par rapport au travail aliénant. La simple conscience de ces forces ne suffit pas, bien entendu.” (Julian Beck)
Une voix de lutte politique naît : dans notre société, l’homme et la femme sont écrasés par le capitalisme, le pouvoir policier, l’horreur du monde (contexte de la guerre du Vietnam), le racisme. J. Beck dit, dans ses entretiens avec J. J. Lebel : “Nous voulons accomplir des actions héroïques que les spectateurs peuvent eux-mêmes accomplir. Nous leur disons : “Le pouvoir est entre vos mains.
Nous voulons que nos jeux rituels leurs révèlent ce pouvoir qui est en eux. Nous ne jouons pas à leur place. Si nous sommes libres sur scène, vous pouvez l’être aussi. Vous êtes aussi capables d’entreprendre ce voyage et de sortir de cette camisole de force où vous vivez.” “Une totale remise en cause de la société est nécessaire : l’éducation apprend à reproduire la dialectique maître/esclave; l’art est élitiste et en dehors de la vie...” ‘L’alimentation carnée est déjà à éliminer.” etc.