Conférence donnée à la Bourse du Travail de Paris,
Le 20 septembre 1903.
Cette conférence a été donnée à la Bourse du Travail de Paris le 20 septembre 1903. Éditée par l’Union Fédérale de la Métallurgie, elle est depuis quasiment introuvable. Apolitique et de tendance libertaire, cette organisation de métallos était particulièrement dynamique. L’article fondamental de ses statuts était ainsi rédigé :
“ Le but de l’Union Fédérale est d’arriver à constituer le travail libre, affranchi de toute exploitation capitaliste, par la socialisation des moyens de production au bénéfice exclusif des producteurs et collaborateurs des richesse nationales. A cet effet, l’Union Fédérale, par tous les moyens, recherchera l’entente entre tous les travailleurs de toutes les branches industrielles, commerciales et agricoles, pour mener en commun la propagande nécessaire au triomphe de cette idée.
D’autre part, tant que durera le régime de l’exploitation patronale, l’Union Fédérale des Ouvriers métallurgistes de France interviendra en faveur de ses membres, moralement et matériellement, dans les cas indiqués par les articles concernant la caisse de résistance dans la mesure du possible. La fédération doit rester absolument sur le terrain économique, toute discussion politique ou religieuse est absolument défendue dans le sein du Comité Fédéral.”
On vous a annoncé, camarades, une conférence. L’expression est plutôt exagérée; malgré le nombre considérable d’auditeurs réunis dans cette salle, nous sommes entre nous; permettez-moi d’espérer que nous sommes entre amis, et je crois que le ton de la causerie convient mieux à une assemblée de ce genre. C’est donc d’une façon simple, familière, comme il convient entre amis, que je m’exprimerai. Je ne vous parlerai pas de vos misères.
Je ne vois devant moi que des travailleurs. Leur vie difficile, le me garderai bien de la dépeindre; leurs angoisses, l’anxiété du demain, l’incertitude constante au sein de laquelle ils vivent, l’exploitation dont ils sont victimes, les humiliations qu’ils subissent, ce sont là des souffrances qui ne leur sont que trop connues parce qu’elles sont par eux vécues. Pour moi, bourgeois venu de la révolution et qui n’ai pas eu la malchance, étant donnée ma naissance plutôt fortunée, de vivre ces douleurs, je me garderai bien, dis-je, de les évoquer devant vous.
A l’aveugle, il n’est pas nécessaire de dire : “Comme la lumière est belle et qu’il est fâcheux que tes yeux ne l’aperçoive pas !” J’ai la conviction que l’aveugle souffre de la cécité à tel point qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter par des paroles de commisération quoi que ce soit à sa souffrance. Mais il est utile de dire à celui qui souffre : “Voici d’où vient ton mal, voici quel en est le remède, voici enfin quel est le mode d’application de ce remède.” Je vais donc avec vous rechercher, aussi exactement, mais aussi simplement et brièvement que possible : 1° la cause du mal qui vous accable; 2° le remède qui peut guérir ce mal; 3° le mode d’application de ce remède (1).
LA CAUSE DU MAL
Elle est connue : c’est l’organisation sociale, cette organisation inique, incohérente, au sein de la laquelle le travail, producteur de toute richesse, créateur de toute fortune, est sous la dépendance complète du capital parasitaire. Non seulement rien n’est au travail dans la société présente, non seulement tout est au capital, mais tout est pour le capital, en ce sens que dans les conventions et institutions actuelles (Etat, législation, justice, armée, famille, religion), sont consacrées à la défense du régime capitaliste.
Un jour, au cours d’une réunion, j’expliquais de la manière suivante le concept particulier que j’ai de la société présente : il y a en elle trois malfaiteurs. Quand je dis trois malfaiteurs, j’entends par-là trois malfaiteurs-types. Chacun d’eux représente des forces considérables et un nombre important d’individus, des milliers, ces centaines de milliers répandus à travers le monde. Le premier, c’est le voleur; le second, c’est l’imposteur; le troisième, c’est l’assassin. Le voleur : celui qui prend dans nos poches; l’imposteur : celui qui abrite le vol du premier derrière le mensonge; l’assassin : celui qui, lorsque le volé veut se révolter, intervient et tue.
Le premier, c’est le capitaliste; le second, c’est le politicien représentant la Providence terrestre, c’est le prêtre représentant la Providence céleste; le troisième, c’est celui qui tue : l’homme de force, l’homme de bestialité et de violence, le guerrier, le soldat. Ce sont ces forces qui se combinent et qui contribuent à chaque instant et sous toutes les formes à votre misère, à votre ignorance, à votre servitude. C’est la trinité réactionnaire contre laquelle il est indispensable de lutter. Mais tout cela est connu, archi-connu, hélas ! trop connu et il est banal de dire que tout le mal dont vous souffrez, camarades de travail, c’est l’organisation sociale. Presque tout le monde est d’accord sur ce point.
LE REMEDE
Mais le remède ? me dit-on. Nous sommes d’accord sur ce point, à savoir que la société est mal faite; nous n’en disconvenons pas et il faudrait être aveugle et aveugle volontaire pour ne pas reconnaître que cette opinion est exacte; mais le remède ?... il est peut-être moins simple de le découvrir ! Pardon ! le remède, camarades, est également connu. Nous ne sommes plus au temps où l’on cherchait à améliorer par de petits moyens le contrat social reconnu mauvais. Cette immense construction, cet édifice dans lequel les uns possèdent les chambres les mieux aménagées, celles où il y a de l’air, de la lumière, du confort, et où les autres sont impitoyablement relégués à la cave ou au grenier, on sent bien qu’il n’est plus possible aujourd’hui de l’aménager mieux.
Ce n’est pas en pratiquant une ouverture ici, un escalier de service là, une porte de dégagement ailleurs, c’est-à-dire par les petits moyens, qu’on peut rendre habitable ce qui pourrait être un palais, ce qui le sera un jour, mais ce qui n’est aujourd’hui qu’un taudis. Pour me servir d’une expression triviale, je dirai que la société actuelle est comparable à une vieille paire de chaussures qui n’est plus capables de supporter un ressemelage; elle a été si souvent rapetassée qu’aujourd’hui le cuir va de toutes parts, les empeignes sont démolies; il est impossible d’y apporter une réparation quelconque; cette paire de chaussures a pu, durant un certain nombre de siècles, convenir à l’humanité quand elle avait les pieds tout petits; aujourd’hui, l’humanité a grandi, elle n’est plus enfant, elle est devenue adulte, et ces chaussures la meurtrissent.
Cette croissance de l’humanité exige des formes sociales nouvelles, formes sociales restituant à l’humanité les deux provinces qui lui ont été ravies par le vainqueur, deux provinces autrement importantes que l’Alsace et la Lorraine : ces deux provinces s’appellent le bien-être et la liberté (2). Le bien-être : plus d’exploitation de l’homme par l’homme. La liberté : plus de domination de l’homme sur l’homme. Ainsi les formes nouvelles doivent consacrer ce nouvel état de choses : plus d’exploitation de l’homme par l’homme (libération économique), plus de domination de l’homme sur l’homme (libération politique).
Le monde révolutionnaire dans son ensemble admet ce concept social nouveau. Je gage qui si je parlais à une assemblée composée de socialistes les plus avancés et si je disais que le but du socialisme consiste, quelque modéré que soit ce socialisme, à abolir d’une façon définitive l’exploitation de l’homme par l’homme et la domination de l’homme sur l’homme, je fais le pari, dis-je, que tous opineraient du bonnet, reconnaîtraient que j’ai raison, abonderaient dans mon sens (3).
Eh bien, ce concept comporte pratiquement trois choses : la première, c’est l’expropriation politique et économique de la classe bourgeoise; la seconde, c’est la socialisation de tous les moyens de productions; la troisième, c’est l’entente et l’action nationales et internationales des travailleurs. Tels sont, camarades, les trois points sur lesquels je désire fixer quelques instants votre attention.
EXPROPRIATION - Premièrement : expropriation politique et économique de la classe bourgeoise. Qu’est-ce à dire ? Expropriation, cela veut dire expulsion, cela veut dire dépossession. Exproprier quelqu’un de son bien, c’est l’en expulser, avec ou sans indemnité; on dépossède un propriétaire de ses immeubles par voie d’expropriation; on dépossède un travailleur de ses outils par voie d’expropriation ou de progrès, ce qui revient au même. Lorsqu’une machine nouvelle pénètre dans l’industrie, quand elle entre sur la scène de l’histoire, il est fatal qu’un certain nombre de bras soient voués au travail correspondant à l’outillage nouveau, et ceux qui voudraient s’attarder aux anciennes formes de production se trouveraient dépossédés de leur moyen de travail précédent. Expropriation veut donc dire dépossession.
A cette expropriation correspond une indemnité, quand il s’agit des propriétaires; le travailleur dépossédé de son outil ne reçoit aucune compensation. Eh bien, l’expropriation peut être et ne peut être que partielle ou intégrale. Elle est partielle, soit qu’il s’agisse des individus, soit qu’il s’agisse des institutions. Quand il s’agit des individus, l’expropriation n’est que partielle lorsqu’on substitue aux détenteurs de la veille des détenteurs nouveaux, lorsqu’on remplace ceux qui possédaient hier par ceux qui posséderont demain.
Exemple : Lorsqu’en 1789-1793, la noblesse et le clergé furent expropriés, c’est-à-dire dépossédés de leurs prérogatives, dépouillés de leurs privilèges, ce ne fut qu’une expropriation partielle, parce que la classe bourgeoise remplaça les classes dirigeantes de la veille, s’installa à leur place, et devint à son tour classe dominante et exploitante.
Lorsqu’il y a quelques mois le roi Pierre 1er monta sur le trône de Serbie, à la suite de l’exécution ou plus exactement du massacre d’Alexandre, son prédécesseur, et de la reine Draga, il y eut expropriation, - expropriation d’une dynastie au bénéfice d’une autre, mais il n’y eu qu’une expropriation partielle, puisqu’il s’agissait de remplacer des personnes par d’autres personnes. (4) Donc toutes les fois qu’on substitue des individus à d’autres individus, il n’y a pas à proprement parler d’expropriation, il n’y a en tout cas, qu’une expropriation fragmentaire ou partielle.
Il en est de même de toutes les institutions. Si, par exemple, seul change dans une société, par suite d’une révolution, l’organisme politique d’un peuple tandis que l’organisme économique de ce peuple ne bouge pas, vous pouvez avoir la certitude que l’expropriation, quelle que soit la fin qu’elle se propose, n’aboutira pas à son but et que, par conséquent, elle restera stérile. De même que si des modifications économiques se produisaient sans que correspondissent à ces modifications des transformations dans l’ordre politique, ces premières modifications, exclusivement économiques, resteraient en partie impuissantes.
Quand on examine toutes les révolutions de l’histoire et qu’on les rapproche de ce que je viens de dire, de l’expropriation considérée dans son sens partiel ou intégral, on comprend alors pourquoi toutes les révolutions du passé ont été frappées d’impuissance : c’est qu’elles n’ont agi, les unes que sur les personnes, les autres que sur une partie des institutions. Mais l’expropriation dont il s’agit, celle que revendique comme sienne et celle que proclame comme devant être l’expropriation future le monde socialiste tout entier, ce doit être une expropriation d’une part intégrale et d’autre part définitive.
Cela signifie que, intégrale, elle ne doit pas avoir pour objet de substituer une classe à une autre, pas même le quatrième Etat (5) au troisième. Pas même la classe ouvrière à la classe bourgeoise; de même qu’elle ne doit pas avoir non plus pour but ni pour résultat de transformer seulement l’organisation politique du pays sans toucher à son régime économique. Mais pour être intégrale et définitive, il faut qu’elle soit bénéficiable à l’humanité tout entière, sans restriction de sexe, ni de race, et il faut également qu’elle ait sa répercussion universelle dans toutes les institutions : politiques et économiques.
SOCIALISATION - Le second point de bases essentielles des revendications ouvrières, c’est la socialisation de tous les moyens de production. Qu’entend-on par là ? C’est tout simplement la substitution de la forme suivante : “Tout appartient à tous” à la formule actuelle : “Tout appartient à quelques-uns.” Aujourd’hui, tout appartient à quelques-uns : les maisons, les machines, la terre, le soleil même, puisque les fruits du soleil n’appartiennent pas à tous; tout cela n’est pas propriété commune, mais propriété privée.
Faire que tout au contraire devienne propriété sociale, c’est ce qu’il faut entendre par la mise en commun ou la socialisation de tous les moyens de production. Et, ici, deux systèmes ou plus exactement deux régimes, car l’un est un système, tandis que l’autre n’est qu’une tendance, deux régimes se trouvent en présence : le premier, on l’appelle le collectivisme; le second, le communisme libertaire.
LE COLLECTIVISME - Le collectivisme, c’est la remise aux soins de l’Etat de tous les instruments de production; puis l’Etat, devenu seul propriétaire, sinon en droit, au moins en fait, de tous les instruments de travail, de tous les moyens de production, ayant mission d’en confier la gérance aux organisations particulières, mais sous son contrôle, sous sa responsabilité, sous sa réglementation. C’est donc, comme vous le voyez, une sorte de substitutions nouvelles aux substitutions anciennes, c’est le remplacement d’un Etat actuel par un autre qui ne serait pas sensiblement meilleur; c’est l’Etat possédant toutes les clefs, gardant toutes les portes, et dont nous deviendrons tous fonctionnaires, en d’autres termes : prisonniers, captifs. Ce serait une expropriation partielle.
LE COMMUNISME LIBERTAIRE - Le communisme libertaire procède d’autres principes et marche vers d ‘autres directions. Le communisme libertaire ne comporte pas d’Etat. L’Etat, c’est l’avènement au pouvoir d’une classe de la société; l’Etat, c’est la mainmise sur les fonctions publiques par une catégorie d’individus; c’est donc la continuation du régime de la domination de l’homme sur l’homme. Or, le communisme libertaire ne peut pas admettre cette domination, et l’expropriation politique et économique telle qu’il l’entend et telle qu’il veut la pratiquer ne la comporte pas.
Donc, sous régime de communisme libertaire, plus d’Etat, plus de domination de l’homme sur l’homme. Comment alors procéder ? Par ce que nous appelons “la libre entente”, c’est-à-dire partir du simple pour aller au composé, de l’unité pour aller au nombre, du son pour aller à l’harmonie, de la cellule pour aller au noyau. C’est, comme vous le voyez, procéder à la façon de la nature; et ici, car souvent cette organisation, étant donné son côté un peu flou, paraît peu susceptibles de mise en pratique, permettez-moi d’entrer dans quelques détails.
Nous entendons, par libre entente, l’entente volontaire et non subie, l’entente provenant d’en bas et non d’en haut, l’entente ayant pour base l’individu et non je ne sais quel être collectif qui s’appellerait l’humanité ou l’Etat. L’individu, seul réalité tangible, mais l’individu qui est un animal sociable, qui ne peut pas et qui ne doit pas s’isoler dans la société, qui est obligé de recourir aux êtres de son espèce, qui est obligé à chaque instant de leur tendre la main, et qui, vivant en société, se voit dans la nécessité d’établir des contrats, fussent-ils perpétuellement révisables, entre ses proches et lui. Voilà la base de l’entente libre.
Donc l’individu à la base de la société, mais, je le répète, l’individu dans la nécessité d’ordre naturel, tout autant que social, de se grouper et pour produire, pour consommer, pour se développer, mais, nonobstant, l’individu libre dans le groupe. Le groupe lui-même ne peut pas rester isolé, il peut se composer de vingt, de cent ou de mille individus, mais il fait partie de l’ensemble, du “moi” collectif” qu’est l’humanité, du “moi” fédératif qu’est la société. (ndlr : Et qu‘en est-il du “Moi” individuel ?...)
Il faut donc que les groupes à leur tour se fédèrent rationnellement, méthodiquement. Il y aurait alors une organisation correspondant à peu près à ce que je vais dire : l’individu libre dans le groupement, le groupement libre dans les corporations ou les corps de métiers, les corps de métiers libres dans la Fédération, comprenant l’ensemble des corporations appartenant à la même industrie et la Fédération libre également dans ce que j’appellerai la Confédération (6).
Si, au lieu d’aller de bas en haut, nous allons au contraire de haut en bas, nous revenons sur nos pas, mais nous aboutissons aux mêmes libertés. La Confédération ainsi établie n’est, pour ainsi dire, que l’expression synthétique mais véritable, loyale, exacte, sincère, équitable des intérêts de toutes les Fédérations; chaque Fédération est à son tour l’expression synthétique et loyale des intérêts de toutes les corporations de même industrie; chaque corporation devient à son tour l’expression exacte et synthétique des intérêts de tous les groupements de même corps de métiers et chaque groupement l’expression fidèle, exacte et loyale des intérêts de tous les adhérents.
Par conséquent, que nous procédions par induction ou par déduction, que nous allions de l’unité au nombre ou que, étant allés au nombre nous revenions à l’unité, c’est toujours le même système, ce système, tout de souplesse, qui permet à chaque individu de rester libre, autonome, indépendant, de s’épanouir en tous sens, non pas dans l’isolement qui serait pour lui déprimant, mais au contraire dans l’entente et la solidarité qui deviennent comme le couronnement de ce magnifique édifice (7).
ACTION OUVRIERE - Sur ce point encore, dans tous les milieux socialistes, on est d’accord; tous prêchent l’action et l’entente indispensable de la classe ouvrière en vue de son émancipation. Il est évident que ceux-ci qui ont intérêt à bouleverser le vieux monde ne s’entendent point pour agir, le vieux monde ne s’en ira pas tout seul. Il est donc indispensable - et M. de La Palice pourrait prononcer, au même titre que moi, cette vérité élémentaire - que l’action et l’entente des travailleurs deviennent une réalité positive. Pour y arriver, deux terrains s’offrent à nous : 1° le terrain politique; 2° le terrain économique.
TERRAIN POLITIQUE - Il m’apparaît, à la lumière de l’expérience et de l’histoire, que l’entente dont il s’agit est dans ce domaine absolument impraticable. Sans parti pris d’aucune sorte, jetez les yeux tout autour de vous; et, ici, je ne suis pas l’anarchiste qui vient apporter à des personnes qui ont l’amabilité de l’écouter des idées qui lui sont personnelles, je suis tout simplement homme studieux qui cherche la vérité sans éprouver le besoin de l’étiqueter.
Examinez ce qui se passe; En Espagne, en Italie, en Allemagne, en Belgique, en France, en Angleterre, partout où le mouvement socialiste a pris une certaine importance, partout où la lutte politique s’est engagée avec une certaine vigueur, partout où le socialisme parlementaire est devenu à la mode en même temps qu’il est devenu une force politique avec laquelle les classes bourgeoises ont à compter, partout c’est la mésintelligence, ce sont les conflits violents, les désaccords passionnés (8).
Et alors, on aura beau nous dire, animé peut-être d’intentions respectables et que je ne veux pas suspecter : “Travailleurs, entendez-vous, de façon à envoyer au parlement des hommes à vous, qui vous représenteront bien”; je répondrai toujours : “Mais, malheureux ! Comment pouvez-vous dire à ces travailleurs de se concerter de cette manière, puisqu’il y a des années et des années qu’on ne cesse de leur rabâcher le même refrain et que plus ils vous écoutent, moins ils s’entendent.” (9).
L’entente sur le terrain politique est donc - non pas parce qu’il nous plaît de le dire, mais parce que les faits le proclament - absolument impossible. Et l’action politique est-elle puissante ? Est-elle efficace ? L’action en ce qui concerne les pouvoirs publics, l’action par en haut a déjà relevé sa radicale stérilité, son impuissance rédhibitoire et irrémédiable. Toutes les lois, dites ouvrières, arrachées à la classe bourgeoise, fourmillent d’atténuations, de réserves et d’exceptions qui les rendent inefficaces. Leur application déplorable aggrave leur insuffisance.
Un jour, un homme se promenait sur les bords de l’Océan et il découvrir, à une certaine distance, un homme; celui-ci était sur une frêle embarcation; il avait dans les mains je ne sais quoi, et de temps en temps, d’un geste large et qui paraissait puissant, il jetait à travers les sillons de l’Océan ce que ses mains ouvertes laissaient échapper.
Quand il eut achevé sa besogne, il revint vers le rivage, et celui qui avait assisté à ce spectacle, éprouvant le désir d’en comprendre le pourquoi, l’interrogea : “Que faisiez-vous, tout à l’heure, mon camarade, lui dit-il, qu’aviez-vous dans les mains ?” Notre homme répondit : “Je semais du blé dans les larges sillons de la mer.” Cet homme aurait pu semer pendant des siècles, le terrain était infécond, la mer n’est point faite pour faire germer la moisson d’épis; et voilà pourquoi, si beau que fût son geste, si noble que fût son désir, il commettait l’acte d’un fou, l’acte d’impuissant, le geste stérile, qui consiste à jeter dans les vagues mouvantes et improductives les graines qui demandent un terrain ferme et fécond.
Eh bien ! Il me semble que la politique est comparable à ce vaste océan dans lequel les gestes les plus larges seraient accomplis, où des hommes, mus par les plus droites intentions, jetteraient - mais, hélas ! vainement - la semence des meilleurs énergies, le grain des meilleurs volontés ! (10). Il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire sur l’action politique, mais j’ai la bonne fortune de me trouver aujourd’hui en face de travailleurs qui couronnent par cette fête un congrès dans lequel ils ont eu l’excellente idée, la pensée judicieuse - et je les en félicite - de déclarer qu’ils n’avaient point confiance dans l’action politique.
Qu’est-ce à dire ? Qu’ils soient résolus à se croiser les bras ? Et alors, pourquoi se réunir ? Et alors, pourquoi les congrès ? Pourquoi des organisations ? Pourquoi ces travailleurs venus de tous les points de la France, dans le but d’échanger leurs vues, de se concerter, en vue d’une action commune ? De ce qu’ils rejettent l’action politique comme inefficace, s’ensuit-il qu’ils veuillent se croiser les bras et déclarer qu’ils n’ont rien à faire ? Non pas ! Ils déclarent qu’ils veulent porter tous leurs efforts, consacrer toute leur énergie, toute leur virilité à l’action économique. C’est le second terrain de l’entente et de l’action nationales et internationales des travailleurs; c’est le bon terrain.
TERRAIN ECONOMIQUE ¾ Ah ! ici l’entente est facile. Pourquoi ? Parce que l’on se trouve en face d’un ennemi unique et constant : le patron capitaliste, et que, par conséquent, il n’y a pas de distinction à établir. Le patron, si rapproché qu’il soit de l’ouvrier, si familier qu’il se montre, si bon garçon qu’il semble, si philanthrope et si humanitaire qu’il paraisse, n’en est pas moins le patron, c’est-à-dire l’exploiteur; dès lors, il est incontestable qu’il soit l’ennemi unique et constant du travailleur (11). C’est encore le bon terrain, parce qu’il n’y a, dans l’existence des individus de même que dans l’existence des sociétés, que deux choses absolument essentielles, deux actes fondamentaux de la vie : 1° produire; 2° Consommer.
Tout le reste : politique, religion, famille, patrie, morale, c’est du décor; tout le reste sert aux personnages officiels à prononcer de temps en temps de magnifiques discours; tout le reste permet aux orateurs de réunions publiques de se lancer également dans des phrases grandiloquentes. Mais, en réalité, il n’y a dans la vie d’une société comme dans la vie d’un individu que deux choses indispensables, en dehors desquelles la vie ne pourrait pas être : produire, consommer.
Nous venons au monde, nous ne pouvons pas produire, nos muscles sont trop frêles. Allez demander à l’enfant de produire, il ne le peut pas; et cependant, il n’y a dans l’existence que deux choses : consommer d’abord, produire ensuite. Mais comme, d’autre part, on ne peut consommer que ce qui a été produit au préalable, il est donc nécessaire que la production tout entière soit rationnellement assurée et que la consommation soit équitablement répartie.
Eh bien ! étant donné ce que je viens de dire, comment constituer, au sein du prolétariat, une force suffisante pour que, dans la production et dans la consommation, le vieux monde soit entamé ? Car enfin, c’est cela qu’il faut; il faut que les vieilles formes sociales, par leur usure, disparaissent; il faut que les classes qui sont au pouvoir, démontrent au jour le jour, leur radicale incapacité et, partant, leur nocivité.
Pour cela, que faut-il ? Il est indispensable que les pouvoirs du prolétariat soient sans cette grandissants, il faut que la vie ouvrière s’intensifie tous les jours, de manière que seules, production et consommation deviennent comme les deux pôles, l’axe autour duquel toute la vie sociale devra tourner. C’est sur le terrain économique que doit se développer une force sociale jetant ses profondes racines dans les masses populaires, force suffisamment puissante, force assez patiemment organisée, assez solidement et savamment constituée pour tout emporter, quand viendra le grand Soir (12).
Il faut organiser la production, la consommation; il faut s’emparer des points stratégiques tant en ce qui concerne la nécessité de produire, qu’en ce qui concerne l’obligation de consommer, et ici je me trouve en présence d’une décision du congrès et je m’en réjouis très sincèrement et très publiquement. On a reconnu - Oh ! non pas sans réserves, et ces réserves sont les miennes et je continuerai à les faire aussi longtemps qu’elles auront leur raison d’être - on a reconnu qu’il était nécessaire que syndicats d’une part (production), et coopératives d’autre part (consommation), fussent les deux terrains sur lesquels le prolétariat s’organisât avec force et avec méthode.
Il ne s’agit pas d’opposer ceci à cela. Je connais des camarades syndicalistes, qui volontiers déclareraient que la coopération est plutôt dangereuse, et je connais par contre des coopérateurs qui voient d’un oeil défiant l’organisation syndicale. Permettez-moi de vous dire qu’ils ne sont pas dans la vérité, ni les uns, ni les autres.
Il est nécessaire que, dans le domaine de la production syndicale, comme dans le domaine de la consommation coopérative, vous vous organisiez et que vous vous entendiez; il faut que ces deux forces soient, non seulement combinées, mais encore s’appuient l’une sur l’autre; il faut, lorsque les coopératives de consommation se trouvent en présence d’ouvriers en grève, qu’elles puissent mettre à leur disposition les ressources indispensables pour continuer la lutte et pour en sortir victorieux.
Mais il faut également que les coopérateurs n’oublient pas ceci - vérité élémentaire en sociologie - à savoir que, s’ils font seulement de la coopération, et dans le cas où le mouvement coopératif se généraliserait selon leur désir, les patrons restés maîtres non plus des produits manufacturés, mais restés maîtres des salaires, les patrons baisseraient les salaires dans une proportion sensiblement équivalente à l’économie que pourrait réaliser par le système de la coopération la classe ouvrière.
Tandis que les ouvriers, par la coopération, cherchent à mieux vivre, cherchent à ne plus être volé par le petit commerce, cherchent à se procurer des produits de qualité supérieure, en même temps qu’à des prix de revient moins élevés, il est indispensable que, dans le domaine de la production, c’est-à-dire sur le terrain des syndicats, les mêmes ouvriers défendent leurs salaires, pour que si, le patronat était tenté de baisser ces salaires d’une somme correspondant à celle que pourrait économiser les coopérateurs, les mêmes ouvriers qui auraient défendu leurs moyens de consommation par le moyen de la coopérative, défendent également leur production ou leurs salaires par le moyen du syndicat.
L’ACTION DIRECTE - Comprenez-vous qu’alors, camarades, nous nous trouverions en présence d’une organisation formidable ? Saisissez-vous qu’alors ce qu’on a appelé l’action directe pourrait s’exercer avec efficacité ? Car il n’y a que deux actions, l’action directe et l’action indirecte; l’action directe, c’est celle qui s’exerce constamment, tant sur le pouvoir que sur le patron, l’action indirecte, c’est celle au contraire qui commence par s’appuyer sur le peuple, mais qui, au lieu d’aller directement contre les ennemis du peuple, consiste à s’infiltrer parmi ceux-ci, en sorte que, si le peuple voulait, un jour, se débarrasser de tous ses maîtres comme il ne pourrait plus reconnaître les siens ¾ le peuple n’est pas Dieu ! ¾ il serait obligé de les balancer tous.
Cette organisation formidable, qui pourrait embrasser la classe prolétarienne tout entière, car si tous ne sont pas producteurs, tous sont en tous cas consommateurs, qui pourrait compter, par conséquent, autant d’adhérents qu’il y a de travailleurs, cette organisation formidable est ce que j’appelle la période préparatoire. Mais viendra un jour la période d’exécution : on ne se prépare qu’en vue d’un acte à accomplir, je ne puis évidemment me préparer à partir qu’à la condition que j’aie un voyage à faire. Eh bien ! comment cette expropriation politique et économique de la classe bourgeoise, comment cette socialisation de tous les moyens de production, comment tout cela peut-il se réaliser si ce n’est par un mouvement révolutionnaire ?
Nous nous trouvons en présence, aujourd’hui, d’une nouvelle formule de la Révolution. Nous ne sommes plus en face de quelque chose de vague qui signifiait ce mot et qui prêtait à toutes sortes de malentendus et d’équivoques; la Révolution n’est pas, dans la pensée de ceux qui la conçoivent nettement, comme du bruit, comme de l’éclat, comme une sorte de cliquetis d’armes qui s’entrechoquent, ce n’est pas l’émeute victorieuse, l’insurrection triomphante, sans lendemain. La Révolution, c’est la transformation complète de la société, c’est la fin de l’histoire de honte et de douleur que nous vivons, et c’est le commencement d’une histoire nouvelle faite de dignité et de joie.
LA GREVE GENERALE - Et nous pensons que la classe ouvrière, organisée sur le terrain économique, verra l’aboutissement de tous ces efforts dans cette formule nouvelle que nous avons appelée “la grève générale”. La grève générale est parfois simplement locale, elle s’étend à une commune ou à une région; elle est parfois coopérative, elle n’embrasse que les ouvriers d’une seule et même coopération. C’est improprement que ces sortes de grèves générales, seulement pour une localité ou pour une corporation, sont qualifiées de grèves générales.
Mais que demain les cités soient plongées dans l’obscurité, que demain les chemins de fer ne transportent plus ni une marchandise, ni un voyageur, que demain les employés des Postes, des Télégraphes, des Téléphones empêchent toute communication à distance, que demain ceux qui pétrissent le pain laissent leurs bras croisés, que demain ceux qui construisent les maisons ne veuillent plus manier la pierre, que demain ceux qui tissent les vêtements refusent à mettre en mouvement les machines, que demain, en un mot, tous ceux qui produisent, qui entretiennent la richesse sociale déclarent que les conditions qui leur sont faites sont devenues intolérables et qu’ils ne veulent plus les subir, alors ce sera la grève générale-révolution et alors on verra l’affolement du pouvoir.
Quand une grève éclate sur un coin minuscule du territoire, c’est en vain que ceux qui ont déclaré la grève montrent une énergie indomptable; on sait qu’il y a de quoi les faire taire, parce qu’on peut concentrer tous ses efforts sur ce qu’on appelle le théâtre de la grève. Mais qu’il n’y ait pas seulement un foyer de grève, qu’il y en ait dix, vingt, cent, mille, et alors le pouvoir sera complètement affolé, les esprits seront plein de surexcitations, l’effervescence règnera dans tous les cerveaux, les volontés seront de plus en plus stimulées, chacun attendra le lendemain avec angoisse, tout le monde couchera sur le champ de bataille, sentant que cette fois, la partie est décisive (13).
Sans compter, camarades, que ceux qui auront dit à leurs amis : “Mettez-vous en grève, le seul fait de vous croiser les bras amènera à composition les patrons”, ceux-là sauront très bien que, quelques jours après, les bras se décroiseront tout seuls ! Ce n’est point ici une prédiction sans consistance, c’est l’évidence même qui fait sauter aux yeux. L’homme peut vivre sans produire, mais il ne peut pas vivre sans consommer; voilà pourquoi lorsque au bout de deux, trois, quatre ou cinq jours, l’ouvrier en grève générale aura compris que tout ce qui existe lui appartient, quand il sera pénétré de cette vérité que tout lui est dû, que tout lui est volé, que, par conséquent, il a le droit de tout prendre et que ce n’est là qu’une restitution, par conséquent un acte de justice, ce jour-là, croyez-vous qu’il aura la sottise, en présence des trésors sortis de ses mains, en face de cet amoncellement de produits de toute nature dont son estomac aura besoin, croyez-vous qu’il aura la sottise de garder les bras croisés ?
Ah ! Ceux-là mêmes qui, au début, seraient bien décidés à ce mouvement de passivité, ceux-là comprendront que l’heure n’est plus à la résignation; que mourir pour mourir, il vaut encore mieux, au lieu de mourir de faim, comme un chien au coin d’une borne, mourir en se défendant et pour son droit. Et je n’ai pas besoin de dire que cette mainmise, non pas grâce aux excitations de quelques agitateurs, non pas grâce à l’éloquence entraînante de quelques meneurs, non pas grâce à l’influence ou à l’autorité morale de quelques tribus, mais grâce à une force autrement importante, je veux dire, grâce à la fatalité des choses, je n’ai pas besoin de dire que cette mainmise sera une sorte d’expropriation, expropriation brutale, mais expropriation complète et définitive.
C’est là ce que nous entrevoyons, c’est l’arbre que nous avons planté, c’est l’arbre que les congressistes ont, ces jours-ci, arrosé de la sueur féconde de leurs travaux; c’est là ce que tous ceux qui rêvent d’un avenir meilleur considèrent comme l’arbre destiné un jour à porter les fruits de vie remplaçant les fruits de mort qu’on nous contraint à manger chaque jour.
VERS LE BONHEUR - Ce sera l’âge heureux, nous connaîtrons alors le bonheur, nous ne serons plus obligés, comme aujourd’hui de dire : “Nous souffrons et nous voudrions jouir, nous sommes malheureux et nous voudrions nous épanouir dans la joie; nos larmes coulent et nous voudrions que nos faces s’illuminent d’un gai sourire.” Nous ne connaîtrons plus alors que les larmes que la nature elle-même jette sur nous fatalement. Les autres fatalités reconnues par l’expérience, les fatalités circonstancielles, historiques, auront disparu, emportées dans le grand tourbillon, dans la tourmente qui déracinera les arbres séculaires : Religions, Patries, États !
Je sais bien que quand on parle de ce magnifique idéal on est traité par les gens qui se disent sérieux, qui prennent des aires solennels et graves, on est traité de rêveur, d’utopiste, d’esprit chimérique. Il faut voir avec quelle pitié dédaigneuse, dans certains milieux, moins préparés que celui-ci, il faut voir avec quels haussements d’épaules ou quel sourire sarcastique on nous accueille. On nous dit : “Oui, vos idées sont belles, mais ce n’est qu’un rêve !” Nous n’avons qu’une chose à répondre ou plutôt deux; la première, c’est que la réalité est assez douloureuse pour que, ne fût-ce que par l’imagination, nous cherchions à nous en écarter; la seconde, c’est que de tout temps, ce qui est devenu la réalité d’aujourd’hui, avait été l’utopie d’hier; vérité qui nous autorise à avancer, sans trop de présomption, que l’utopie d’aujourd’hui deviendra le réalité de demain.
Il n’y a d’utopique que ce qui est déraisonnable et il n’y a de déraisonnable que ce qui est impossible. Or, il n’est pas déraisonnable, car ce n’est pas impossible de demander que tout le monde mange à sa faim, puisqu’il y a assez pour que tout le monde puisse se nourrir; de demander que tout le monde soit vêtu, puisque la nature produit des matières textiles en quantité suffisante pour que tout le monde soit convenablement habillé. Il n’y a pas folie à demander que tout le monde soit logé, puisqu’il y a, d’une part, dans les entrailles de la terre assez de pierres pour que des édifices abritant tout le monde soient construits, et puisqu’il y a, d’autre part, parmi les hommes, des bras assez robustes et assez nombreux pour arracher aux entrailles de la terre de quoi édifier les palais de l’avenir. Donc, tout cela n’est pas de l’utopie.
L’utopie, au contraire - utopie criminelle, monstrueuse - c’est de vouloir arrêter l’humanité dans sa marche éternelle, c’est de vouloir que les formes sociales de l’heure présente soient des formes définitives, comme si les formes sociales n’appartenaient pas à l’immense courant qui emporte tout vers d’incessants devenirs, comme s’il y avait quelque chose dans l’univers qui se puisse arrêter ! L’humanité marche; elle est en voie de transformation; nous avons derrière nous, avec le passé, les ténèbres, l’ignorance, la férocité, l’esclavage et la misère; devant nous, au contraire, avec l’avenir, nous avons la beauté radieuse, le savoir, la bonté, le bien-être, la liberté. C’est à la conquête de ce magnifique idéal, camarades, que vous travaillez tous. Travaillons-y plus que jamais !
Sébastien FAURE, 1903.
(1) On remarquera la prédilection de Sébastien Faure pour le chiffre 3 lors de ses démonstrations oratoires. Adjectifs, verbes, points à traiter vont par 3 le plus souvent. Ce n’était pas là par hasard, c’était une méthode de persuasion dont il entretenait souvent avec ses amis.
(2) Le retour à la communauté française de ces deux provinces, annexées par l’Allemagne en 1871, était le leitmotiv n°1 à l’époque. L’image ici devait donc porter remarquablement sur l’auditoire.
(3) Il est question là du socialisme avant le phénomène bolcheviste, qui a brouillé les cartes, et l’imposture nationale-socialiste qui a achevé de déconsidérer le terme. Il existe aujourd’hui un courant socialiste libertaire mais il s’agit alors de tout autre chose.
(4)Ce règlement de comptes entre gens de milieux royaux s’assortissaient de motifs sordides et permettait, sous des prétextes “moraux”, à une conjuration militaire d’installer sur le trône de Serbie les Karageorgévitch dont le second représentant, Alexandre, fut assassiné à Marseille en 1934.
(5) Ce terme revient souvent dans la littérature socialiste de l’époque. Il désigne l’organisation sociale et politique après la conquête des pouvoirs publics par le parti socialiste.
(6) Pierre Besnard dans Le Monde Nouveau et le Fédéralisme Libertaire, ce dernier rapport dresse un plan détaillé d’une société basée sur le fédéralisme et fonctionnant à la manière de celle que Sébastien Faure esquisse ici.
(7) Sébastien Faure a traité largement les problèmes évoqués dans cette causerie familière - Collectivisme et Communisme Libertaire - dans ses divers ouvrages, dont La Douleur Universelle.
(8) Depuis, la Révolution russe étant passée par-là, un régime dit communiste fut ensuite institué dans l’ancien empire des Tsars. Les “désaccords passionnés” des maîtres de ce régime, à prétentions socialistes, relevaient souvent de l’assassinat pur et simple.
(9) Ce raisonnement pouvait se traduire par la formule : “Front Populaire”.
(10) C’est sous une autre forme le fameux “coup d’épée dans l’eau”. Sébastien Faure aimait émailler ses conférences d’allégories de ce genre qui permettaient à des auditoires de travailleurs, n’ayant eu ni le temps ni les moyens de se cultiver, de mieux saisir ses arguments. On le lui a parfois reproché; il n’est pas sûr que ses détracteurs aient eu raison.
(11) C’était des plus exacte en 1903. Depuis, l’Etat a joué les “pieuvres”. Des quelques établissements et monopoles qu’ils dirigeaient alors, cela est devenu, sous la poussée des nationalisations, fausse conception de la socialisation, un véritable système d’exploitation étatiste ayant des bases purement et simplement capitalistes. Entreprises nationalisées et régies plus ou moins autonomes, sont de nouveaux patrons avec lesquels les travailleurs doivent compter.
(12) Le Grand Soir n’était pas, dans l’esprit des révolutionnaires de la fin du dix-neuvième siècle, une simple figure de rhétorique. On l’attendait de jour en jour, il ne pouvait pas ne pas venir. A tel point qu’une porte fermée violemment de nuit, un tumulte quelconque dans la rue, alertaient les adeptes des mouvements sociaux et les trouvaient prêts à “descendre dans la rue”. Cet esprit barricadier a à peu près disparu et le “romantisme révolutionnaire” avec lui.
(13) Des essais, plus ou moins réussis, de grèves générales, ont été tentés. En France, en 1920, puis dans ces récentes années, selon des tactiques différentes, l’arrêt généralisé du travail fut pratiqué. Les résultats sont discutables. Il semble que la classe ouvrière ait été la principale victime de ces tentatives. Trains bloqués durant les vacances, lettres non acheminées alors que les plis officiels étaient transmis, etc. etc...