Conférence prononcée le dimanche 15 mai 1927 à Paris, à l’École du Propagandiste, Salle Pigier,
23 rue de Turenne.
J’ai lu dans trois journaux différents l’annonce de la conférence que je vais prononcer. Faut-il attribuer ce détail à l’aimable malice de l’organisateur Georges Chéron et de son École du Propagandiste ou à l’astuce et aux facultés d’adaptation des messieurs les journalistes ? Les trois annonces que je connais ne concordent que partiellement. D’après L’Anarchie, je dois vous parler de “la vie et de l’œuvre de l’anarchiste Élisée Reclus.” Le quotidien, plus libéral et plus imprécis, vous promet seulement une étude sur “la vie et l’œuvre d’Élisée Reclus.” Soyons généreux de satisfaire aux trois engagements pris pour moi.
Essayons de faire connaître un peu le savant Élisée Reclus; de mettre en lumière Élisée Reclus anarchiste et qui, pendant trente ans, hautement et fidèlement se proclame anarchiste. Essayons de dire un peu la noblesse en mouvement de sa vie, la beauté sincère de son oeuvre et quelle harmonie chante leur rapprochement. Il arrive, certes, que la dissonance entre la vie et l’œuvre nous intéresse comme un spectacle inquiet. Il arrive même qu’elle nous charme comme une apologie en action de nos propres faiblesses ou comme une glorification de notre force.
Marie Dorval, à l’époque où elle préférait tous les textes d’Alexandre Dumas, tous les Jules Sandeau et même tous les Mélingue, au trop pur et trop imposant Alfred de Vigny, disait à une confidente : “Vois-tu ma chère, plus je vais et plus je sens qu’on ne peut bien aimer que celui qu’on n’estime pas.” Évitons toujours une telle bassesse. Sachons aimer ceux que nous estimons. Les autres, aimons-les partiellement, si j’ose dire, et par leurs côtés estimables ou admirables.
Ribeira est un peintre d’une fougue éloquente dans le drame et, dans l’idylle, d’une grâce pleine, d’un réalisme charmant. C’est un homme abominable, d’une jalousie haineuse et meurtrière, et qui est pour beaucoup dans la mort de Dominiquin. Racine, poète merveilleux, est un caractère un peu bas et un peu cruel. Aimons la peinture de Ribeira en méprisant ou plaignant l’homme. La tragédie racinienne est une perfection telle qu’il devient difficile ici de voir l’homme autrement qu’à travers l’œuvre. Faisons pourtant cet effort. Sachons jouir de la force de composition et des divers prestiges du style, sans donner notre cœur à l’homme méchant.
Que notre sévérité s’accroisse lorsqu’il s’agit d’hommes qui prétendent nous guider et non plus seulement nous complaire. Celui qui, non content de modeler des matières étrangères, enseigne le grand art de se sculpter soi-même, nous refusons de l’écouter s’il ne s’est pas appliqué à mettre sa vie d’accord avec sa pensée, à faire de sa doctrine et de sa conduite une noble harmonie.
N’oublions pas, cependant, que, même chez les meilleurs et les plus pleinement sincères, l’œuvre risque d’être parfois en avance sur la conduite traînarde ou l’action en avance sur les tâtonnements de l’expression. L’homme est un être complexe. A trop vouloir la continuité dans l’harmonie, il consentirait des méthodes négatives et appauvrissantes. Il faut accepter que notre marche soit une suite de chutes arrêtées à temps. Dès que nous nous sentons harmonieux, courrons à des richesse nouvelles; dès que notre enrichissement apporte en nous un désordre un peu ivre, songeons à notre harmonie.
Mais jamais par le sacrifice d’une part de nos puissances les plus grandes; Toujours par le renforcement de nos puissances moindres et retardataires. La conscience et le bonheur ne sont-ils pas deux noms glorieux donnés à l’accord des puissances nombreuses que nous appelons notre cœur et des forces conjuguées que nous nommons notre raison ? Quand nous souffrons d’une dissonance, n’ayons jamais la lâcheté d’apaiser et de diminuer la voix la plus forte; fortifions le chant le plus faible.
Chez Élisée Reclus, de légers désaccord se produisent entre les deux ordres d’énergie. Si claire que soit sa raison, l’ardeur de son cœur se manifeste plus fort. Pourtant le spectacle reste toujours noble. Son oeuvre, qui exprime directement sa raison et où, par une certaine vibration émue du style probe, seules les harmoniques chantent le cœur, est toujours en accord suffisant avec une vie qui exprime davantage les mouvements du cœur mais qui néanmoins s’équilibre au balancier de la raison.
Élisée Reclus est le second fils d’un pasteur protestant, très noble de caractère, qui a toujours vécu selon la foi profonde et à plusieurs reprises a sacrifié ses intérêts à sa croyance. Élisée a donc de qui tenir pour la pureté et la fermeté. Mais combien sa sincérité nous paraît plus émouvante que celle de son père : Il n’est pas le vaillant soldat qui épouse un parti et une foi extérieure, qui accepte une discipline enseignée; il est le vrai héros : il fait jaillir sa foi de ses profondeurs et se discipline lui-même selon ses découvertes ardentes ou ses scrupules inquiets.
Mettre d’accord sa conduite avec sa parole, sa parole avec la pensée et les sentiments qu’on accepte : sincérité élémentaire et extérieure, si on écoute des maîtres, si on consent à être fabriqué en série. Élisée ne s’en contente point comme son père. Il a, lui, la sincérité intérieure, si rare, si pénible et si joyeuse : il fait passer tout ce qu’on lui a appris par l’épreuve du doute; parmi les ruines et les plâtras, il regarde pousser sa vérité, verdure fragile et pâle, puis arbre robuste, rugueux et grandissant.
Son enfance se passe pour la plus grande partie en Allemagne, chez les frères Moraves. Après y avoir été élevé, il y est quelques temps professeur. Puis sa jeunesse vagabonde campe à Londres, aux États-Unis, dans l’Amérique du Sud. Revenu en France, son mépris pour le Second Empire le jette dans l’opposition républicaine. A cette époque, il y vote sans scrupule. Même aux élections législatives de 1871, il sera candidat ou presque.
De Paris il se présente dans les Basses-Pyrénées, et il envoie sa lettre de candidature avec tant de hâte et de soin qu’elle arrive le lendemain de l’élection. Il prend part avec plus de zèle au mouvement de la Commune. Mais dès les premiers combats il est pris à Châtillon et il assiste à l’assassinat ignoblement ordonné par le général Vinoy, ignoblement exécuté par l’infâme discipline militaire et la vile obéissance passive de Duval et de deux autres prisonniers. Conduit en prison à Versailles, il est de ceux dont un certain Picard, bien oublié aujourd’hui, mais alors ministre de temps à autre et toujours noble écumeur de Bourse, juge la figure : “Jamais ¾ fit afficher dans toute la France sur papier officiel l’honnête Picard¾ jamais la basse démagogie n’avait offert aux regards affligés des honnêtes gens des visages plus ignobles.” Élisée Reclus vécut dans quatorze prisons successives. La plus connue est celle de Quélern aux environs de Brest. On y entassait jusqu’a quarante prisonniers dans une même casemate. Les casemates du bas donnaient la mort. Les tuyaux des latrines, mal construits, laissaient suinter l’essence fécale.
Chaque matin la saine liqueur montait à deux pouces de haut. Tout à côté, des bâtiments salubres restaient inoccupés, où l’on refusait de transférer les prisonniers. Excellente position d’étude que la prison de Quélern. Les plus aveugles y apprenaient à leurs dépens ce que c’est qu’un gouvernement, ce que c’est que l’administration, ce que c’est que la justice et quelle légère distance sépare la réalité de la vérité officielle. La vérité officielle c’était, par exemple, que la cantine ne devait prendre et ne prenait que dix pour cent de bénéfice. Il y avait des comptables parmi les prisonniers; ils mesurèrent et calculèrent la réalité : la cantine se contentait d’un bénéfice moyen de cinq cents pour cent.
Élisée Reclus resta peu de temps à Quélern. Un grand nombre de prisonniers ne savaient ni lire ni écrire. Il s’était mis immédiatement à les instruire. A d’autres, il enseignait l’anglais. A tous il communiquait sa force morale et presque son héroïque gaîté. Le directeur, qui n’osait s’opposer à sa bienfaisance, le voyait d’un fort mauvais oeil. Élisée puisait lui-même sa force dans un travail continu et divers. Il apprenait le flamand. Ses lettres ne réclamaient que des livres sérieux. Avant même d’en recevoir aucun, il écrivait son Histoire d’une montagne; résumait en deux petits volumes son premier grand ouvrage : La Terre; faisait le plan d’un livre futur qu’il intitulait alors dans son esprit : Le Sol et les Races.
Jules Simon vint visiter la prison de Quélern. Pour Élisée Reclus déjà célèbre par L’Histoire d’un Ruisseau et par son grand ouvrage La Terre, l’ancien philosophe tombé dans la politique professait une admiration qui n’était pas complètement insincère. Il désira le voir et lui demander s’il ne manquait de rien. “Mais ¾ raconte le prisonnier ¾ comme je méprise cet homme, je refuserai de me rendre auprès de lui en disant que je n’avais rien à lui demandé... Il déclara qu’il voulait me donner du confort malgré moi.” Élisée Reclus fut donc transporté dans une prison plus saine, à Trébéron. Aux apparentes générosités officielles, n’oublions jamais de regarder les dessous.
On voulait priver hypocritement les malheureux ainsi parqués à Quélern des leçons et des consolations du ferme savant. On voulait aussi le priver de la joie de faire quelque bien. Cependant la Société de Géographie fait des démarches pour sa libération. On l’en informe et que bientôt elle sera obtenue en échange d’un engagement qu’on lui dictera. Mais, lui, s’étonne, s’irrite presque : “Des amis supposent que, pour rentrer dans la vie libre, il me faudrait commencer par m’avilir !” Et il arrête, définitif : “Je ne puis souscrire à aucun engagement dont d’autres que moi auraient peser les termes.” Car, écrit-il un autre jour, “Je me dois à moi-même d’être d’autant plus fier que le sort m’a plus frappé.”
Les démarches échouent donc, que le moindre mot conciliant de l’intéressé aurait fait réussir. Et il est condamné à la déportation simple, c’est-à-dire à être envoyé en Nouvelle-Calédonie. Mais les savants de toute l’Europe proteste et sa peine est commuée à dix années de bannissement. L’autorité, à qui il va échapper, tient du moins à manifester jusqu’à la fin mauvaise humeur et ridicule bassesse : une voiture cellulaire le conduit, menottes aux mains, jusqu’à la frontière Suisse. Il commence la plus connue et la plus vaste de ses oeuvres :
La Nouvelle Géographie Universelle. Il écrit aussi dans divers journaux et, par des lacets qui font à chaque détour le sommet plus visible, il monte vers son idéal. En 1876, pour la première fois, il se déclare publiquement anarchiste; jamais dès lors, il ne répudiera ce titre noble et dangereux. Après ces dix années de bannissement, il vit tantôt en France, tantôt en Italie, en Suisse ou en Belgique, mais le plus souvent à Londres.
Vers la fin de sa vie, il se jette dans une entreprise de cartographie. Lui qui n’a pas la science des affaires (quel honnête homme eut jamais, pratiquement, la science des affaires ?...) il s’est laissé entraîné dans la difficile aventure par le désir de trouver du travail à des camarades dont il plaint la misère. Naturellement, il est pillé largement par les hommes d’affaires, volé petitement par les camarades. Il passe ses dernières années non seulement dans la misère, mais sous le poids de la dette écrasant pour ce scrupuleux et candide esprit qui a besoin de sourire. Il garde pourtant, jusqu’à la fin, l’héroïque volonté de joie, l’héroïque volonté de faire rayonner autour de lui le bonheur. Son optimisme invaincu se mêle et se relève parfois d’un peu d’amertume, mais la vaillance et l’amour triomphent toujours chez lui. Il meurt en 1905, à 75 ans.
La multiple et harmonieuse évolution d’Élisée Reclus serait passionnante, mais trop longue à étudier. Je me contente d’en étudier les grandes lignes. La première ascension que nous remarquons est sa libération religieuse. Élevé dans le protestantisme le plus sévère par un père très noblement fidèle, par une mère aussi croyante et fille, elle-même, d’un pasteur; enfin par les frères Moraves, voici qu’il réfléchit lui-même et il s’écarte de toute religion. Détachement ou plutôt déchirement pénible qui désole des parents adorés et admirés. Malgré les rares traces dans sa correspondance, nous devinons cette douleur plus que nous ne la voyons.
Élisée est de ceux qui chantent volontiers leurs joies pour en réjouir quiconque les entend, mais farouchement et bienveillamment ces braves enferment leurs souffrances. Sa pensée et ses sentiments envers la famille évoluent aussi. Ou plutôt, après avoir cru penser et sentir ce que la foule croit sentir et penser, son cœur et sa raison parle un jour librement comme dans la monotonie froide de la verdure, s’épanouit, corolle et calice, une fleur ardente. Lors de son premier mariage, il est encore très jeune et ne s’est point posé certaines questions. Il se marie légalement, moutonnièrement, sans éclater de rire devant l’écharpe qui cercle le ventre officiel. De combien de préjugés pourtant il est déjà délivré.
De ce préjugés des races, par exemple, qui fait encore aujourd’hui dans l’Amérique du Nord tant d’assassins. Il aime et épouse une mulâtresse dont la mère est Sénégalaise de la tribu des Peuls. Après la perte de sa première femme, il ne connaîtra plus que l’union libre. Quand il mariera ses filles, ce sera sans en informer M. le Maire, pas plus que M. le pasteur. Il a compris un jour que toute loi est tyrannique, que “les institutions suffisent pour créer des maîtres” et, autant qu’il le peut, sans danger excessif pour ceux qu’il aime, il échappe aux lois, méprise pratiquement les institutions, rit de l’organisation.
Dégagé de bonne heure du préjugé des races, il reste longtemps esclave de la vanité nationale. On lui a dit et il répète que la France, patrie de la Révolution, est la créatrice de la liberté et marche à l’avant-garde du progrès. Il mutine encore cette naïveté pendant la guerre de 1870-1871. Quand il pose sa candidature législative, c’est pour soutenir la guerre à outrance. Son patriotisme indigné des incohérences, de faiblesse, des trahisons lui semble-t-il, de la défense de Paris, l’engage dans le mouvement de la Commune. Mais sa pensée ne va pas tarder à s’éveiller et lentement elle évoluera. Au terme de la libération, en 1885, il définit la Patrie : “La solidarité des crimes de nos ancêtres contre d’autres pays, ainsi que des iniquités dont nos gouvernements respectifs se rendirent coupables.”
Il regarde avec un même écœurement sa France pillarde et colonisatrice ou les autres “États européens se disputant le partage du monde nous rappellent les corbeaux assemblés autour d’un cadavre, chacun emportant son débris.”
Sur la question du vote, évolution analogue. D’abord, machinalement, il vote, comme tout le troupeau. Quand le problème se pose à son esprit, il continue de voter et, selon un réflexe logique auquel nous avons tous obéi bien souvent, cherche dans le raisonnement une justification de son aveugle habitude. En 1869, il convient que tout politicien est une canaille et qu’il est impossible de faire un choix honnête dans cette racaille. Le vote lui paraît cependant encore une manifestation utile en faveur d’un programme. Plus tard, il comprendra que confier un programme à un traître prévu n’est pas très utile à ce programme.
Il verra surtout qu’on ne peut ni voter, complice, pour une canaille déjà formée, ni prendre la responsabilité de livrer à l’inévitable corruption un débutant encore honnête, de collaborer ainsi à la dégradation d’un homme et à une trahison ¾ ou comme dit l’euphémiste Briand - à une adaptation future. A 46 ans, il trouve enfin sa vérité. Il se proclame hautement et pour toujours anarchiste.
Son oeuvre de savant est de tout premier ordre. Certes, on relèverait dans tant de gros volumes quelques erreurs. Mais sa conscience les a rendues rares et le sûr esprit critique qu’il a apporté à l’examen de son énorme documentation. Plus encore que la sûreté de son information et l’étonnante quantité de faits qu’il a su rassembler, ce que nous admirons en lui c’est le sens de la vie et l’intelligence de la complexité des choses; c’est la souplesse et l’ouverture accueillante de la pensée qui presque toujours le protègent contre l’esprit de système; et c’est cette plénitude, ce modèle simple du style qui le font toujours vivant et à la fois précis et scientifique.
Il ne mérite jamais les reproches qu’il adresse à un de ses contemporains : “La géographie de Cortambert me paraît absolument manquer de tout sentiment de la vie. La terre serait en métal, les villes seraient en papier mâché et les hommes seraient en carton que l’auteur n’aurait pas à changer un mot à son bouquin.” Quoiqu’il ait une méthode, puissamment et souplement synthétique, il méprise, avec quelque exagération dans les mots, tous ceux “qui savent par méthode et non par ardeur enthousiaste.” Il déteste les livres de classe qui “donnent la science, comme faite, achevée, paraphée, approuvée, devenue presque une religion et en train de se changer en superstition.” C’est, ajoute-t-il, une nourriture morte et qui tue.”
Lui, au contraire, il est un vivant qui fait vivant et qui enrichit la vie du lecteur. Il n’oublie jamais que la vie est complexité et que son harmonie exige des richesses multiples. “Comme une plante qui va puiser au loin sa nourriture par toutes ses radicelles aussi bien que par les pores de ses feuilles, la géographie doit commencer par tout à la fois : cosmographie, histoire naturelle, histoire, topographie. La nature ambiante est une immense synthèse qui se présente à nous dans tout son infini et non partie par partie... C’est ainsi que l’enfant, se servant de tous ses sens à la fois, apprend peu à peu à reconnaître tout ce qui l’entoure.”
Ni dans La Géographie Universelle ni dans L’Homme et la Terre, qui est peut-être son chef-d'œuvre, il ne sacrifie jamais au besoin de simplifier et de schématiser. Son art qui se cache suffit à rendre claire et facile la vision synthétique.
Il répand une abondante lumière sur la vie frémissante, il n’a pas besoin d’appauvrir pour rendre intelligible ou d’arrêter pour permettre de voir. Jamais il ne nous donne la fausseté analytique, partielle et statistique; toujours la vérité synthétique et dynamique, riche, flottante, nuancée comme moire ou gorge de pigeon. Il est quelques-uns de ses livres que j’aime moins quoique peut-être ils me touchent davantage. Son esprit y a été dupe de son cœur et sa générosité lui a fait sacrifier les nécessités de son esthétique ou de sa nature intellectuelle.
La synthèse dynamique qu’il nous définissait tout à l’heure exige de l’espace, exige dans l’allure une souriante, une apparemment capricieuse liberté. Elle ne s’accommode pas de la hâte et du resserrement. A un certain moment de sa vie, Élisée Reclus, homme de scrupules, souffre à l’idée que ses livres pleins mais volumineux coûtent cher et que les pauvres, qui sont pourtant les seuls producteurs, auxquels seuls il doit quelque chose, n’ont ni l’argent nécessaire pour les acheter ni le loisir d’aller les étudier dans les bibliothèques. Sa tendresse, penchée sur l’autodidacte, sur l’enfant pauvre, sur l’école aux maigres ressources l’engage à résumer en deux petits volumes à bon marché son admirable travail : La Terre.
Effort d’autant plus émouvant que cette tendre générosité se manifeste dans la situation la plus malheureuse, quand Élisée Reclus est en prison. Or il ne consent pas à donner aux pauvres moins qu’aux riches; dans l’espace singulièrement rétréci de la chaumière nouvelle il entasse les mêmes richesses que dans le vaste palais d’hier. Trop de choses en trop peu de pages. Ce resserrement rend pénible pour l’homme cultivé, impossible aux autres, la lecture du résumé. L’excès de bonne volonté trahit le dessein. Admirons la bonté morale de la tentative et louons Élisée Reclus d’avoir essayé par bonté une oeuvre impossible.
Je vous indiquais tout à l’heure la noble évolution d’Élisée Reclus, homme social et sociologue. Dans ce domaine, on ne connaît plus guère, et avec raison, que son attitude définitive et épanouie. Avant 1876, avant l’heure où il se déclare anarchiste, il n’est encore, si l’on ose dire, que sa propre préface. Il a exprimé ses idées sociales dans un beau livre : L’Evolution, la Révolution et l’idéal Anarchique. Il les a résumées dans une brochure au titre plus court : Évolution et Révolution. Et ce résumé-ci est excellent. Instruit sans doute par son demi-échec à resserrer La Terre, il n’a pas essayé, cette fois, de tout dire, n’a conservé que l’essentiel, ce qui lui a permis de rester clair et harmonieux.
Sur l’évolution et la révolution, il expose une théorie remarquable et qui me paraît contenir une grande part de vérité. Évolution et révolution sont pour lui les deux moments d’un même phénomène. Tout évolution conduit à une révolution. Toute révolution commence avec éclat une évolution nouvelle qui se poursuivra plus ou moins secrètement. Ainsi l’enfant évolue neuf mois aux chaudes ténèbres, puis “avec violence il s’échappe en déchirant son enveloppe et parfois même en tuant sa mère.” Ainsi la semence travaille au sein de la terre puis révolutionnairement perce l’obstacle, jaillit à l’air libre et son évolution future multipliera les semences dont quelques-unes recommenceront le cycle.
Une autre comparaison séduit peut-être davantage notre géographe : “Qu’un éboulis barre une rivière, les eaux s’amassent peu à peu au-dessus de l’obstacle, et un lac se forme par une lente évolution; puis tout à coup une infiltration se produira dans la digue d’aval et la chute d’un caillou décidera du cataclysme; le barrage sera violemment emporté et le lac redeviendra rivière. Ainsi aura lieu une petite révolution terrestre.”
Élisée Reclus croit que nul résultat social ne peut échapper à ce rythme : lente évolution, brusque révolution. Le malheur est que la révolution se produit rarement sans quelque violence. Le problème de la violence, le plus angoissant peut-être de ceux qui inquiètent les hommes réfléchis, s’impose à Élisée Reclus comme à chacun de nous. La solution où il aboutit est voisine de la mienne, mais sur plus d’un détail important je me sépare de lui. L’opprimé a le droit de résister par tous le s moyens à l’oppresseur et “la défense armée d’un droit n’est pas la violence” Disons plutôt que c’est une violence légitime en droit. Mais supprimer un oppresseur est-ce supprimer une oppression ?
Problème différent, plus difficile à résoudre. Lorsque je l’ai examiné dans Le Sphinx Rouge, j’ai fait soutenir les deux thèses contraires par deux personnages d’une noblesse égale à d’une égale intelligence, Sébastien et Gustave de Ribiès. Pourtant le lecteur sent bien que ma réponse est la réponse abstentionniste de Sébastien. Élisée Reclus donnerait plutôt raison à mon Gustave. Un ami tolstoïen lui cite la légende de Bouddha se laissant manger par un pauvre tigre affamé. Élisée réplique : “Je comprends cet apologue. Mais les Bouddhistes ne nous racontent pas si, voyant un jour un tigre se précipiter sur un enfant pour le dévorer, il laissa faire aussi. Pour moi, je crois que ce jour-là Bouddha tua le tigre.” Je le crois aussi. Mais je demande à voir le tigre et je ne consens pas à tirer naïvement sur un acteur revêtu d’une peau féroce.
Dans la société, le tigre est-ce tel oppresseur que voient mes yeux, patron, gouvernant, général, ou est-ce l’organisation sociale ? Le meurtre d’un patron supprime-t-il le tigre patronat ? Tuer un général est-ce tuer le tigre armée ? Faire disparaître un gouvernant est-ce dissiper le tigre gouvernement ? Décidément, la comparaison est un peu trop boiteuse et le tigre social ne se tue pas à coup de fusil.
Même sur ce point la pensée équilibrée et inquiète d’Élisée Reclus diffère moins qu’on ne croirait d’abord de la pensée héroïquement hardie de Tolstoï. Remarquons qu’il condamne sans réserve : “l’idée de vengeance si peu scientifique, stérile.” Ce n’est guère que théoriquement qu’il reconnaît (et quel homme sincère désavouerait la théorie ?) que “tout opprimé, tout malheureux, tout homme privé de soleil et d’air, de liberté ou d’étude, tout être lésé dans son existence et dans son droit, tous ont droit à lever la main contre l’oppresseur.” Il écrit encore au même correspondant (Henri Roorda van Eysingen) : “Je ne nie pas que tout homme lésé a droit de lever la main contre la société mauvaise. Il n‘y a pas de doute à cet égard.”
Mais dès que nous sortons de la théorie et de l’absolu : “pareille révolte n’a que la valeur d’un fait divers. Pour que la révolte m’intéresse, il faut qu’elle ait un caractère mondial, dirai-je, qu’elle soit faite pour le bonheur du genre humain.” La vraie question est donc de savoir si la violence est jamais utile au genre humain. Les cas où Élisée Reclus répondra autrement que Tolstoï seront assez rares. Justifiant théoriquement, mais méprisant dans la pratique tout violence individuelle, il semble n’admettre comme efficace que la violence massive et révolutionnaire. Ainsi écrit-il et parle-t-il sans hésitation jusqu’en 1892. A ce moment, les événements posent le problème de façon actuelle, concrète, brutale et Élisée Reclus se manifeste d’abord fort déchiré.
Des bombes ont été déposées on ne sait encore par qui chez un magistrat, assassin, comme beaucoup de magistrats, par procuration. On demande à Élisée Reclus ce qu’il pense de ce geste anarchiste. Il répond, presque avec humeur : “Ni vous ni moi ne connaissons les auteurs de ces faits et nous savons seulement qu’ils ne peuvent nous profiter tandis qu’ils profitent admirablement à la police et à ses chefs... Est-ce une raison pour dire que le fait vient de ces gens ? Non, puisque nous n’avons point de preuves, mais on n’a point de preuves non plus contre les groupes anarchistes.
Et il concluait : “Si vos questions se rapportent à des anarchistes conscients, à des anarchistes qui pèsent leurs paroles et leurs actes, qui se sentent responsables de leur conduite envers l’humanité tout entière, il va sans dire que les fantaisies explosives ne sauraient leur être imputées.”
Quand on connaît l’auteur des “fantaisies explosives”, quand on sait que ce Ravachol se réclame des doctrines anarchistes, Reclus admire “le haut caractère” de l’homme, “héros d’une magnanimité peu commune” et “très grande figure”. Mais à une correspondante qui approuve joyeusement, il écrit ces paroles équilibrées :
“Je considère toute révolte contre l’oppresseur comme un acte bon et juste... Mais dire que les moyens violents sont les seuls réellement sérieux, oh ! non; autant dire que la colère est le plus sérieux des raisonnements.” Et il condamne pratiquement “la violence impulsive.” La naïve “ne voit que le but; elle se précipite à la justice par l’injustice; elle voit “rouge”, c’est-à-dire que l’œil à perdu sa clarté.” La violence révolutionnaire elle-même, Élisée Reclus la croit rarement nécessaire, rarement efficace. Ne l’oublions pas, “la physiologie, l’histoire sont là pour nous montrer qu’il est des évolutions qui s’appellent décadence et des révolutions qui sont la mort.”
Aucune des révolutions que nous rencontrons dans l’histoire n’obtient de lui une sympathie sans réserve. Aucune “n’a été complètement spontanée, et c’est pour cela qu’aucune n’a complètement triomphé. Tous ces grands mouvements, sans exception, ont été plus ou moins dirigés et, par conséquent, ils n’ont réussi que pour les directeurs. Ils n’ont fait que changer les institutions et le nom de la servitude, car des institutions suffisent pour créer des maîtres.” Pour que la révolution soit enfin efficace, gardons-nous de la hâter par des actes de violence ou par la prédication de la violence. Éveillons les cœurs et les esprits. C’est le seul moyen de préparer le mouvement spontané, le seul vraiment utile, le seul qui n’amène ni réaction ni dictature.
D’accord. Mais, lorsque les consciences seront suffisamment révolutionnaires, le changement extérieur, rayonnement de notre beauté intérieure, exigera-t-il encore la violence ? Je ne le crois pas. Et ce dont je suis certain, c’est que la violence, tant qu’elle paraît nécessaire, reste impuissante. La violence disciplinée est infiniment plus forte que la violence inorganisée et un petit nombre de flics suffit à vaincre une foule. Si cette foule veut triompher de la petite troupe, elle est obligée de se discipliner comme les agents, d’obéir comme eux à des chefs. La “violence impulsive”, à la naïveté de se précipiter à la justice par l’injustice.
La violence révolutionnaire, quand elle semble réussir, a eu la stupidité de courir à la liberté par la servitude. Le moyen a détruit le but. Qu’aurait pensée Élisée Reclus des événements russes ? J’écarte volontiers de telles questions et je n’enrégimente pas les morts. Je ne tire pas de leur passé des conclusions sur un présent qu’ils ignorent.
Par trop de cas vérifiables, j’ai appris que les conclusions que je tire de leurs prémisses ne sont pas toujours celles qu’ils en tireraient eux-mêmes. Chaque problème à son individualité. Devant un concret imprévu, nous savons rarement quelle réaction se produira chez autrui. Bienheureux qui peut prévoir ses propres réactions. Ne faisons donc point parler ceux qui ne sont plus en état de protester. Quelle attitude aurait-il eue pendant la guerre ? Quand je vois son ami Jean Grave approuver les combattants, je suis averti de la complexité des hommes et qu’il est impossible de leur prêter une réponse aux problèmes particuliers que les circonstances leur ont épargnés.
Élisée Reclus croit-il au progrès ? Qu’on me demande si j’y crois moi-même, et ma réponse incertaine penchera, je l’avoue, dans un sens ou dans l’autre, suivant la beauté de jour ou sa tristesse, suivant mes propres dispositions d’esprit, suivant celles de l’interrogeant et la façon dont l’interrogation sera faite.
Il me semble qu’Élisée Reclus varie aussi. Dans ses livres et dans ses paroles publiques il croit au Progrès un peu plus que dans sa correspondance. Dès qu’il a affaire à un public nombreux et déterminé, sa bonté l’engage à donner plus d’espoir qu’il n’en aurait dans la méditation solitaire et muette. Le phénomène est intéressant parce que nous avons affaire au plus sincère des hommes. D’ordinaire, il dit une chose parce qu’il la croit; ici, il lui arrive de croire parce qu’il dit.
En 1875, il écrit à Bakounine : “Il y a longtemps que je ne crois plus à la fatalité du progrès.” Bien souvent, dans ses lettres, on trouve des formules analogues à celle-ci : “Je suis loin de croire au Progrès, comme à un axiome.” Il écrit à un ami : “Si je pouvais te rendre le courage en te disant que nous triompherons un jour, que la conscience de la justice se développera chez tous les hommes, que nous deviendrons des égaux et des frères, je le ferais avec plaisir, mais...” Et il constate, stoïque, qu’il faut lutter même sans espoir : “C’est une question de conscience, non une question d’espérance.” Ce qui importe, ce n’est pas de réussir, c’est de rester malgré tout “les interprètes de la voix intérieure.”
Dès 1859, il écrivait à sa sœur Louise : “Chacun de nous n’est autre chose qu’un milliardième de l’humanité tout entière; notre action individuelle sur cette énorme masse sera donc bien minime.” Mais, loin de déplorer son impuissance, il s’en réjouit héroïquement : “Nous aurons d’autant plus la satisfaction d’avoir fait notre devoir que nous l’aurons accompli par amour de la justice et que la joie du triomphe y sera rarement pour quelque chose.”
Bakounine appréciait à leur valeur ceux qu’il appelait “les deux frères Reclus.” Il y avait d’autres frères Reclus et tous étaient des hommes remarquables. Après les deux aînés Élie et Élisée, le plus connu est Onésime, géographe passionnant, plein de visions et de rêves, au style vivant, sursautant, un peu trop gascon peut-être, et qui contraste singulièrement avec la grâce apaisée du style d’Élisée.
Bakounine proclamait les deux aînés : “Les hommes les plus religieusement dévoués à leurs principes que j’ai rencontrés dans ma vie.” Il constatait : “On peut être profondément religieux tout en professant l’athéisme.” Il ajoutait et il appuyait sur ce point : “Ce sont par excellence des hommes de devoir.” Les mots “devoir” et “conscience” se rencontrent fréquemment sous la plume d’Élisée. Quelques-uns le lui reprochent comme un reste de son éducation protestante. Mais peut-être le besoin de dénigrement sévit-il dans les milieux libertaires comme dans les autres milieux.
On a reproché à Élisée Reclus jusqu’à sa générosité. Un journal raillait un peu bassement, ces jours derniers cet homme dont la main droite ne savait jamais ce que donnait la main gauche. Il m’arrive d’admirer quand certains anarchistes blaguent et il m’arrive de rougir de leur blague. Quant aux traces de protestantisme, certains les découvrent bien facilement. Ils ne peuvent comprendre qu’un homme aussi réalisé qu’Élisée Reclus a surmonté son éducation même s’il en utilise toujours quelques éléments. Des malins bien naïfs croient expliquer et réfuter la Critique de la Raison Pure et la Critique de la Raison Pratique en remarquant que leur auteur était protestant ou en constatant gravement que Kant est allemand.
Quelque éducation que je suppose à Élisée Reclus, sa puissance individuelle l’en dégagera, le conduira aux même pensées, aux même sentiments, les exprimera à peu près dans les mêmes termes, tout à fait par les mêmes gestes et les mêmes abstentions. Moi non plus, je n’aime pas beaucoup le mot “devoir” et, si j’emploie le mot “conscience”, c’est en lui donnant peut-être un sens un peu particulier. Mais autant je refuse de me laisser imposer un vocabulaire, autant j’évite d’imposer le mien. Je ne chicane sur les mots nul être de bonne volonté : Ce qu’on appelle querelle de mots va souvent plus loin qu’on ne croit, attaque le centre même de l’individu et ses nécessités vitales.
Je combat l’idée du devoir chez quiconque parle tyranniquement. A celui-là je dis : “Je ne me reconnais aucune dette si je ne l’ai contractée librement.” Je brise le bâtons dont il veut me frapper. Je respecte le bâton sur quoi s’appuie le marcheur de bonne volonté.
La plupart de ceux qui parlent de devoir mérite notre rire et notre mépris parce que comme leur a dit à peu près Jésus - ils nous engagent à jeter sur nos épaules de lourds fardeaux arbitraires qu’eux-mêmes ne touchent pas du petit doigt. Mais celui qui, comme Élisée Reclus, parle volontiers de ses devoirs et non des devoirs d’autrui, celui qui exige beaucoup de lui-même et reste indulgent aux autres, comment ne l’aimerions-nous pas ?
Quant à la conscience, je donne ce nom à l’accord de mon cœur et de ma raison, seul critérium de ma vérité éthique. Élisée Reclus n’a pas fait cette analyse dans la lumière. Le duo qui me conseille doucement, il l’entend comme une voix unique et impérieuse. Qu’importe ! Sa conscience est toujours un bel équilibre et sa raison même nous parle avec un accent qui vient du cœur.
Le 8 juillet 1882, il écrit à Richard Heath ces paroles remarquables : “Entre hommes et animaux, comme ente les hommes eux-mêmes, la justice ne peut naître que de l’amitié.” Vingt-deux ans plus tard, vers la fin de sa vieillesse écrasée, une correspondante croit découvrir dans quelques pages anciennes du mépris pour l’humanité. Élisée Reclus proteste. Il est trop éclairé et trop sincère pour ignorer ce qu’il y a eu de flottant et de balancé dans ses sentiments., mais les oscillations diverses me ramenaient toujours au centre de gravité qui était ‘la violente amour des hommes.”
Puis il s’inquiète et explique : “Quant à mes premières pages de L’Histoire d’une Montagne, je me demande si au fond elles n’ont pas un défaut, le manque de sincérité. Autant qu’il m’en souvienne, j’étais alors en prison et, de plus, je sentais autour de moi le mur épais, presque impénétrable de la haine, de l’aversion du monde entier contre la Commune et les Communards. Peut-être que je me suis raidi et que ce mouvement a combattu ma véritable nature.”
Ainsi il appelle “manque de sincérité” ce que nous appellerions la sincérité du moment. Tout ce qui, venu de lui, n’exprime pas son fonds et son rayonnement d’amour, il le nie amoureusement. Exemple singulier ! N’y a-t-il pas des heures où l’effort et le raidissement peuvent seuls dire la beauté offensée de notre nature ?... O noblesse redressée ! Je vous citais, tout à l’heure ces paroles écrites de sa prison : “Je me dois à moi-même d’être d’autant plus fier que le sort m’a plus frappé.”
Cette fierté dédaigneuse devant la tyrannie n’empêche point la douceur et la générosité penchées sur les compagnons d’infortune. J’ai indiqué comment il instruisait les ignorants. Tous les témoignages nous le montrent soutenant de sa force les faiblesses ployées, partageant le peu qu’il a avec ceux qui manquent.
Admirable équilibre et en mouvement; et où “le mouvement qui déplace les lignes” multiplie les beautés vivantes. Sa richesse ne se dépense pas tout entière à l’attitude défensive ou à se donner aux camarades. Se tenir debout sous les chocs et répandre son amour ne lui suffit point. Il sait encore garder la pleine santé du cœur et de l’esprit. Jusqu’au font des casemates, il porte aux lèvres cette fleur paradoxale de la bonne conscience, la gaîté.
Parce qu’il faut amour; parce que ce qui en lui ne paraît pas amour n’est que l’effort qui empêche de faire tomber son ivresse et sa titubation amoureuses, il mérité tout notre amour. Toute notre admiration aussi. Avec ou sans espérance, dans la douce tiédeur des affections proches ou enveloppé de haine, d’oppressions et de souffles glacés, il a toujours été lui-même, il a toujours été - sourire austère et profond ou choc irrité contre l’obstacle et le refus, - le rayonnement de son cœur.
HAN RYNER